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Ausgabe:

Juni/2006

Spalte:

713 f

Kategorie:

Bibelwissenschaft

Autor/Hrsg.:

Montagnes, Bernard

Titel/Untertitel:

Marie-Joseph Lagrange

Verlag:

Une biographie critique. Paris: Cerf 2004. 625 S. gr.8° = Histoire. Biographie. Kart. Euro 49,00. ISBN 2-204-07228-1.

Rezensent:

Jean Riaud

Grâce à l¹historien dominicain Bernard Montagnes, chargé de présenter le P. Marie-Joseph Lagrange, le fondateur de l¹École biblique et archéologique française de Jérusalem en vue de sa béatification, nous disposons d¹une solide biographie critique, enrichie par une documentation de première main.

Les deux premiers chapitres relatent les premières étapes de la vie du P. Lagrange: sa naissance, le 7 mars 1855, dans une famille profondément chrétienne à laquelle il demeurera toujours attaché, conscient de ce qu¹il devait à ses parents, à son père qui lui avait enseigné la droiture, à sa mère dont il avait retenu la tendresse passionnée et la piété ardente. En 1864, Albert ­ c¹est le prénom reçu à son baptême ­, entre au petit séminaire d¹Autun où il reçoit une solide formation en lettres classiques et en langues vivantes. Après avoir passé le baccalauréat, il prépare le concours de Saint-Cyr, et s¹oriente vers des études de droit. Après son doctorat en juillet 1878, Albert Lagrange qui a décidé d¹entrer chez les dominicains, se prépare au noviciat par une année de séminaire, à Issy, en 1878­1879. C¹est une année d¹imprégnation spirituelle, à l¹école des prêtres de Sain-Sulpice: il est initié »à cette piété sobre, plutôt contenue qu¹étalée, touchant le fond de l¹âme, en évitant de passer par le sentiment«, caractéristique des sulpiciens (33). C¹est aussi auprès de ceux-ci qu¹il prend »un goût passionné pour la parole de Dieu«. Au terme de cette année, Albert Lagrange rentre chez les dominicains, au couvent de Saint-Maximin, où se trouve le noviciat de la province de Toulouse. Le 6 octobre 1879, il y reçoit l¹habit des Prêcheurs sous le nom de frère Marie-Joseph. Quelques jours plus tard, le 30 octobre, il doit s¹expatrier avec ses frères en Espagne.

C¹est à Salamanque qu¹il fait ses études de théologie. Dès 1881, ses supérieurs le destinent à enseigner l¹Écriture sainte. Pour se former, il obtient la permission de suivre le cours d¹hébreu à l¹université, cours qui »relève davantage de la prestidigitation que de la philologie« (39). Durant les années 1884­1886, il est chargé d¹enseigner l¹histoire ecclésiastique; à Toulouse, au retour de l¹exil, on lui confie ensemble la philosophie et la Bible.

En 1888, les supérieurs décident de l¹envoyer à Paris étudier les langues orientales. Les dominicains de Paris ne pouvant le recevoir, il obtient l¹autorisation de s¹inscrire à l¹université de Vienne. C¹est là qu¹il reçoit, le 5 février 1889, de son prieur provincial de Toulouse une lettre lui annonçant qu¹il est cédé au couvent Saint-Étienne de Jérusalem pour y fonder une école d¹Écriture sainte. Cette annonce imprévue le plonge dans le désarroi. Plus de trente-cinq ans après, il évoquera dans ses Souvenirs personnels ce moment de détresse: »J¹en fus atterré. La lettre du P. Colchen me parut sonner le glas de mes espérances. Que faire si loin du monde savant? Pourrions-nous avoir des livres? Serait-il possible de travailler sous ce climat brûlant?« (41) Passé ce premier effroi, le P. Lagrange se ressaisit. Il ébauche un programme d¹enseignement, et ses dernières hésitations sont levées par le voyage qu¹il fait en l890 en Orient, voyage qui comprend l¹Égypte, la Palestine et le Liban. Il reste quatre mois à Jérusalem, et rentre en France, convaincu sur l¹opportunité de pratiquer les études bibliques en Palestine, mais sans savoir quand ni même si l¹École sera réalisée. En août 1890, le Maître de l¹Ordre décide de donner le P. Lagrange à Saint-Étienne. L¹inauguration officielle de l¹École se fait le l7 novembre. Sa fondation est pleine de promesses. Conscient que les catholiques ne pouvaient éluder »la question biblique«, comme on disait alors à la suite de Mgr d¹Hulst, question à laquelle l¹encyclique Providentissimus (l8 novembre 1893) tentait d¹apporter un début de réponse, le P. Lagrange se met au travail: il organise les »Conférences bibliques et archéologiques de Saint-Étienne«, crée la Revue biblique et élabore le projet de la collection Études bibliques.

Après ces commencements relativement harmonieux, voici que s¹annoncent les tribulations qui ne cesseront de croître, comme le laissent clairement entendre les titres fort parlants des chapitres suivants: »Les premiers déboires du Père Lagrange«; »Les combats du Père Lagrange« (deux fois); »Les épreuves du P. Lagrange« (deux fois); »De la réprobation à la réconciliation«; »Les autres tourments du P. Lagrange«; »Durant la guerre: l¹École biblique réduite au Père Lagrange (1914­1918)«; »Les séquelles de la crise moderniste«. Le P. Lagrange était convaincu que la tradition dogmatique de l¹Église était compatible avec une exégèse moins littérale que celle pratiquée jusque-là. Or la compatibilité avec l¹enseignement de l¹Église d¹une critique scripturaire sécularisée n¹allait pas de soi. Pour en faire la preuve, le P. Lagrange dut affronter les traditionalistes qui l¹accusaient d¹introduire le loup dans la bergerie, et les progressistes aux yeux desquels il faisait figure de funambule refusant de se soumettre jusqu¹au bout aux exigences de la critique.

Grâce aux 70 documents que l¹auteur a trouvés dans les archives des maisons religieuses établies à Jérusalem et hostiles à son ‘uvre, nous découvrons le profil humain et spirituel de M.-J. Lagrange, religieux en tout irréprochable, faisant de l¹obéissance un absolu, mais se comportant toujours en homme libre en dépit de son isolement tant par rapport à son Ordre que par rapport aux autres présents en Terre sainte: les franciscains, nullement préparés à affronter les remises en question qu¹exigeait la critique historique pratiquée pour l¹authenticité des sanctuaires; les assomptionnistes qui retireront de l¹École leurs étudiants, le P. Lagrange ayant été accusé de vouloir les »déniaiser«. Mais c¹est avec les jésuites que le combat fut le plus âpre, en particulier à cause du redoutable P. Fonck, consulteur à la Comission biblique à Rome. Expert en vilénies, il réussira à implanter dans Jérusalem un institut biblique concurrent dans le but de »réprimer l¹influence vraiment funeste de l¹École biblique de Jérusalem«.

Les autorités romaines sous Pie X surtout, mais aussi sous Benoît XV et Pie XI, manifesteront une dureté proprement stupéfiante, attisée par l¹ignorance, la totale incompétence des censeurs chargés de lire les écrits de l¹exégète, dont certains sont encore visés par une semonce de la Consistoriale (22 octobre 1912): la Revue biblique, La Méthode historique, Le Livre des Juges, L¹Évangile selon saint Marc. Et comment ne pas être étonné en lisant les propos de Pie X au sujet du P. Lagrange: »Il lui arrive de boîter«, ou »Il est à craindre qu¹il ne se modifie pas tant qu¹il ne sentira pas la main de fer du Saint-Siège«?

Cette main de fer, A.-M. Lagrange l¹a sentie, et d¹autres avec lui, serviteurs de la Parole: Loisy, Pouget, Condamin, et d¹autres encore. Leur combat pour donner droit de cité, dans l¹Église catholique, à l¹interprétation historico-critique de la Bible, a fini par porter ses fruits. Mais au prix de quel gâchis!