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Ausgabe:

Oktober/2020

Spalte:

940–942

Kategorie:

Neues Testament

Autor/Hrsg.:

Singer, Christophe

Titel/Untertitel:

Justes, justice, justification. Harmoniques pauliniennes dans l’évangile de Luc.

Verlag:

Berlin u. a.: De Gruyter 2016. XVII, 400 S. = Beihefte zur Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft, 220. Geb. EUR 119,95. ISBN 978-3-11-046017-9.

Rezensent:

Daniel Marguerat

Cette monographie reprend le texte (aménagé) d’une thèse de doctorat présentée en 2013 à la fois devant l’Université Paul-Valéry Montpellier III et devant la Faculté de théologie protestante de Montpellier. Le maître de thèse en était Elian Cuvillier (Montpellier). Le thème du travail est tout à fait classique en exégèse du Nouveau Testament: quel est le lien théologique entre Luc et Paul? L’état de la question, rapidement brossé par Christophe Singer (9–41), rappelle comment la critique historique, à partir de l’école de Tübingen et après Vielhauer, a disqualifié le »paulinisme« de Luc, et comment le débat a été relancé par Bauernfeind, van Unnik et Jervell. C’est en terme de réception d’un héritage théologique que la problématique est aujourd’hui abordée, avec ses inévitables décalages et ses déplacements, et non plus en recherchant la reproduction par Luc de l’argumentation paulinienne.
Si la thématique est classique, cette thèse met en œuvre une triple originalité herméneutique: 1) elle ne part pas de Paul pour identifier la présence chez Luc de ses thèmes théologiques, mais remonte de Luc à Paul; 2) elle se fixe textuellement non sur les Actes des apôtres, mais sur l’évangile; 3) elle adopte délibérément une herméneutique centrée non sur l’auteur et les conditions de son écriture, mais sur le lecteur (l’outillage méthodologique est emprunté à la sémiotique, à la narratologie et à la pragmatique de la com-munication). La question cardinale est donc: quel effet le texte exercet-il sur le lecteur, la lectrice?
La faible occurrence de la terminologie de la justice (δίκαιος, δικαιοσύνη, ἀδικία) conduit l’auteur à élargir l’étude à des textes où il présume la présence du thème (exemple: Lc 18,18–23). Son analyse exégétique lui fait dresser une typologie de trois catégories de justes: a) les justes-témoins, signalés par leur observance de la Loi mais aussi un état d’attente, de manque, que Dieu vient combler (Zacharie, Syméon, Zachée, Joseph d’Arimathée); b) les justes idéaux, c’est-à-dire convertis par la parole de Jésus (le centurion de Capernaüm, le centurion au pied de la croix); c) les propres justes, qui sont en réalité des pécheurs qui s’ignorent (exemple-type: le pharisien de la parabole de Lc 18,9–14).
La thèse défendue par le travail est la suivante: Luc ne thématise pas la justice dans son évangile; il défend encore moins une définition stricte de la justice qui permettrait de classer les personnages du récit en justes ou injustes. L’identité des justes et des pécheurs est bien plutôt »une question posée au lecteur non pas comme une question littéraire (qui sont les justes et les pécheurs dans le récit) ni historique (qui étaient les justes et les pécheurs que visait Jésus), mais une question personnelle: comment distinguer le juste du pécheur, et où en suis-je quant à ces catégories?« (314). On repère dans cette formulation symptomatique la visée du travail de S., nourrie d’une herméneutique du lecteur et outillée de la pragmatique de la communication: c’est à l’évangile en tant que langage de changement qu’il s’intéresse, à sa capacité d’interpeller le récepteur du texte et le conduire à s’interroger sur son propre statut devant Dieu. Ce n’est donc pas dans la reprise d’un langage paulinien que S. repère ce qu’il appelle des »harmoniques pauliniennes« chez Luc. C’est plutôt dans une posture suggérée à l’horizon du texte évangélique, où le lecteur se laisse surprendre par le paradoxe d’une justification gratuitement offerte. Il est rappelé au passage qu’Eusèbe, selon Calvin, appelait Luc »l’Evangile de Paul«.
L’intérêt de ce travail réside dans sa lecture fine et renouvelante de quelques péricopes pourtant largement travaillées. J’ai retenu no­tamment sa lecture de la parabole des deux fils (Lc 15,11–32; 184–220) et de la rencontre avec Zachée (Lc 19,1–10; 264–280). La fécondité méthodologique de l’analyse narrative est démontrée avec succès; elle conduit en effet à ne pas postuler une définition du »juste« ou du »pécheur« à partit d’une enquête lexicographique, mais à la cons-truire en observant le déploiement narratif du personnage dans l’histoire racontée. S. s’est donné les moyens d’identifier les ressorts d’une théologie narrative là où elle se livre, c’est-à-dire dans la stratégie mise en œuvre par le narrateur. Quant à la thèse de fond, elle me paraît souffrir du fameux cercle herméneutique. A suivre l’analyse, on ne peut s’empêcher de penser qu’une définition a priori de la justification paulinienne est présupposée dès le début du travail et vérifiée en cours d’analyse. Que Luc réinvestisse la problématisation du rapport à la Loi à laquelle se livre l’apôtre Paul est tout que certain. Néanmoins, rechercher dans le texte lucanien les éléments de la sotériologie paulinienne non pas comme un projet discursif, mais comme »ce qui, de fait, travaille le discours« (371) est un questionnement fécond. Il conduit en tous les cas à congédier les critères littéraires classiquement appliqués à la problématique Luc-Paul.