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Ausgabe:

April/2019

Spalte:

382–383

Kategorie:

Praktische Theologie

Autor/Hrsg.:

Theobald, Christoph

Titel/Untertitel:

Urgences pastorales. Comprendre, partager, réformer.

Verlag:

Paris: Bayard Éditions 2017. 539 S. = Théologie. Kart. EUR 19,90. ISBN 978-2-227-48830-4.

Rezensent:

Félix Moser

L’auteur Christoph Theobald est professeur de théologie fondamentale et de dogmatique aux facultés jésuites de Paris (Centre Sèvres). Il livre ses réflexions sur les transformations auxquelles les Églises de l’Europe de l’Ouest sont appelées en vue de remplir leur mission.
Son écrit vise à mettre au cœur du débat la question de la crédibilité du message chrétien et de l’Église catholique romaine. Au long de son parcours, Th. tisse son argumentation en prenant soin d’entrelacer judicieusement les parcours bibliques et théologiques avec les questions soulevées par notre manière d’habiter notre société au XXIe siècle. La réflexion de Th. implique que l’on garde conjointement à l’esprit trois pôles indispensables. Il faut donc – premier pôle – nommer le référent ultime qui seul donne sens et goût à toutes nos entreprises missionnaires et ecclésiales, à savoir l’Évangile du Règne. Ensuite il faut prendre en compte – deuxième pôle – le contexte historique qui est le nôtre: sans historicité, la singularité chrétienne s’efface car il n’est pas d’annonce qui ne soit insérée dans une histoire donnée et un lieu déterminé. Enfin – troisième pôle – il s’agit de prendre en compte la figure de l’Église: sans Église attentive à la tradition et ouverte aux charismes, le christianisme risque de se dissoudre dans la société. L’Évangile, le con-texte (ou situation historique) ainsi que l’Église forment ainsi »une vision tripolaire« qui permet de penser et de mettre en œuvre une mission et une pastorale adaptées aux besoins et aux désirs des personnes pour aujourd’hui. Reprenons brièvement ces trois pôles.
Le premier pôle a donc pour but d’inviter les Églises à retrouver leur raison d’être en se laissant animer par Celui qui sillonna la Galilée et qui est devenu notre Seigneur. La mission première de l’Église est d’annoncer la proximité du règne de Dieu. Il en va de remettre »la barque de l’Église dans le vent de l’Esprit saint« (12). Dans cette optique, il s’agit d’engager résolument l’Église sur la voie de la mission. Conscient du mésusage et de la défiance que ce terme suscite, Th. reprend théologiquement et pastoralement la question de la finalité de la mission. La réponse théologique se trouve dans la reprise de la notion d’actions désintéressées marquées du sceau de la gratuité évangélique. Christ et son message décentrent les chrétiens d’eux-mêmes, pour les rendre attentifs aux besoins d’autrui. Cette marque de gratuité confère à l’action un label de crédibilité et permet de surmonter la peur du prosélytisme. Ce dernier paralyse parfois les chrétiens, mais surtout fait fuir ceux et celles à qui l’Évangile universel est destiné. L’ouverture à Dieu et à autrui vont de pair. Ce nouveau comportement des chrétiens devient réalité quand les croyants s’ouvrent à Dieu et entrent dans Son intimité.
Dans le deuxième pôle, qui touche un diagnostic de notre historicité, Th. relève les défis communs auxquels l’ensemble de notre société occidentale est confronté: la question de la laïcité (qui relève aussi de la responsabilité des États), la grande disparité entre des zones de pauvreté et l’indécence de l’enrichissement des plus riches, ainsi que la nécessité d’œuvrer à la sauvegarde de la création. Th. décèle dans les mentalités européennes occidentales contempo-raines une forme de »néodarwinisme« (72) sous-jacent. Ce dernier décrit en fait une logique de survie qui a pour conséquence d’instrumentaliser les zones de frictions potentielles au profit de groupes de pression, alors qu’au contraire il faudrait s’atteler en­semble, Église et société, à la résolution des questions soulevées par la globalisation de notre monde.
Le troisième pôle aborde la figure de l’Église. Th. lui demande de se laisser interroger par des regards qui lui sont externes. Ces regards, entre autres celui des sociologues de la religion, permettent de réorienter la mission et la pastorale de l’Église en fonction des demandes réelles de la société. Ainsi, la mission doit prendre en compte les mutations sociales et politiques qui affectent notre aujourd’hui. À titre d’exemple, mentionnons l’analyse novatrice des géographes et urbanistes sur la transformation du territoire. Ces spécialistes nous permettent de comprendre (entre autres) pourquoi et comment la civilisation paroissiale, qui a fonctionné pendant des siècles, ne peut plus être reprise aujourd’hui, et pourquoi une stratégie de l’accommodation – qui essaie de colmater les brèches pour conserver ce qui existe encore – n’est plus pertinente. Le diagnostic ecclésial posé est également porté par des expériences ecclésiales vécues par Th. Celui-ci accompagne et dirige plusieurs groupes de réflexion chrétienne en France, en particulier dans la Creuse. L’ensemble de son propos est ainsi habité par une densité existentielle tout en étant porté par la rigueur scientifique.
Mais Th. ne se borne pas aux constats. Il propose une nouvelle stratégie: celle du dépassement. Cette dernière permet de prendre à bras le corps la singularité de l’Évangile et le nouveau contexte provoqué par la sécularisation interne et externe du christianisme. Elle permet de prendre acte en particulier de l’individuation de nos contemporains et de l’apparition du pluralisme religieux. Devant ce qui peut être perçu comme menaçant, Th. invite à dépasser le repli identitaire en faveur de l’expérience qui pousse à la sortie (141 sqq.), à savoir la mission. C’est en s’exposant à la rencontre de l’altérité que le chrétien se fortifiera. Dans une perspective missionnaire, l’Église est appelée à quitter tout à la fois la résignation teintée de nostalgie et un volontarisme marqué par le souci de l’efficacité excessive et porté par le souci de contrecarrer l’érosion sociologique des Églises de l’Europe de l’Ouest.
Dans son entreprise missionnaire, l’Église tentera de trouver un nouveau langage et de nouveaux styles de vie pour contrecarrer »l’exculturation« du christianisme (32), la marginalisation des Églises et la folklorisation des symboles et des rites. Les croyants doivent être conscients que, pour nombre de nos contemporains, la ques-tion même de Dieu est perçue comme in-évidente (59). Cependant, et pour employer un néologisme de Th., les »christiens« (155) tiendront compte de la foi élémentaire de ceux et celles qu’ils croisent sur le chemin. Cette foi élémentaire se lit comme une confiance de base dont les Évangiles témoignent déjà, notamment dans les récits de guérison. Cette foi élémentaire atteste d’un élan spontané et confiant vers Jésus (156). De plus, la rencontre entre croyants et quêteurs de Dieu doit se conjuguer avec l’hospitalité et l’apprentissage réciproque (319). Ce projet d’une Église tournée vers »ceux du dehors« présuppose aussi la mise en œuvre d’une pédagogie spéci-fique que le pape François appelle par ses vœux dans l’encyclique Evangelii Gaudium.
La question de la forme de l’Église mérite aussi examen. Pour dépasser une vision uniformisante de l’Église, Th. propose de troquer l’image du cercle pour celle d’un polyèdre qui, se déployant dans l’espace, peut renvoyer la lumière grâce à ses multiples facettes. L’œcuménisme, rubrique qui a forcément intéressé le recenseur réformé que je suis, pose la question de la hiérarchie des vérités. Cette manière d’empoigner la question des diversités confessionnelles me paraît propre à susciter »l’émulation fraternelle« (197).
L’ouvrage est complété utilement par une annexe explicitant le concept de »pastorale d’engendrement«.
Les lecteurs et les lectrices de toute confession tireront grand profit de cet ouvrage écrit de façon limpide, qui allie la lucidité et l’espérance.