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Ausgabe:

November/2016

Spalte:

1219–1221

Kategorie:

Neues Testament

Autor/Hrsg.:

Pitre, Brant

Titel/Untertitel:

Jesus and the Last Supper.

Verlag:

Grand Rapids u. a.: Wm. B. Eerdmans 2015. 604 S. Geb. US$ 55,00. ISBN 978-0-8028-4871-0.

Rezensent:

Armand Puig i Tàrrech

Le fameux dictum d’Albert Schweitzer sur le dernier repas de Jésus avec ses disciples ouvre le livre de Brant Pitre: »Le problème de la cène du Seigneur est le problème de la vie de Jésus«. L’a. veut contribuer à éclaircir ce problème et tous ses efforts visent à présenter une image cohérente de cet événement du point de vue des motifs qui l’entourent et le constituent. Pitre en distingue quatre: le nouveau Moïse (chapitre 2, 53–147), la nouvelle manne (chapitre 3, 148–250), la nouvelle Pâque (chapitre 5, 374–443) et le royaume de Dieu comme réalité eucharistique (chapitre 6, 444–512). Bref, Jésus serait un deuxième Moïse qui aurait distribué le pain de vie tombé du ciel à l’occasion de la fête de la Pâque, en ayant comme but le royaume à venir, mentionné en forme de vœu dans Mt 14,25 – texte décisif dans la conception de l’a. La discussion sur le caractère pascal du dernier repas de Jésus, central aussi dans l’hypothèse de l’a., est placée au centre de l’ouvrage (chapitre 4, le plus longue, 251–373).
Dans chacun des quatre motifs l’a. combine les analyses provenant du judaïsme ancien avec l’étude de quelques péricopes que les évangiles rapportent à la vie de Jésus (la multiplication des pains, la prière du Seigneur, l’enseignement de Capharnaüm d’après Jn 6, les vendeurs chassés du Temple, le repas des étrangers partagé avec les patriarches d’après Mt 8,11–12 par. Lc 13,28–29) et, encore, les motifs centraux de la dernière Cène (le sang de l’alliance, le pain de la présence, le corps et le sang de l’Agneau, le vœu de Jésus à propos du banquet messianique). Il s’agit donc d’un schéma didactique, qui prône pour une théologie biblique de la dernière Cène dans la-quelle s’encadrent les analyses exégétiques des textes sur le dernier repas de Jésus, lesquelles sont élargies avec d’autres péricopes. Le mot d’ordre de l’approche de Pitre est celui-ci: »Jesus the Jewish prophet saw himself as establishing the new sacrifice of a new cult […] the new Passover of a new Temple« (517). Il y a donc un nouveau peuple, l’Église chrétienne, qui jaillit de l’eucharistie. Avec les pa-roles de l’a. qui clôturent le livre: »This is the community Jesus en-visioned when he commanded the disciples to do what he did in remembrance of him […] when he declared that many would come from the east and from the west« (ibid.). Dans ces deux affirmations, qui concluent l’étude de Pitre, on y lit une continuité claire et ab-solue qui, d’après l’a., s’établirait entre les intentions de Jésus et la compréhension de l’eucharistie dans la théologie et la liturgie chrétiennes. Le dogme s’enracinerait, presque directement, dans le Jésus de l’histoire. À ce propos il faut dire que, même s’il est vrai que la dernière Cène contient in nuce tout ce qu’on peut affirmer théo-logiquement sur l’Eucharistie, la tradition chrétienne postérieure à la résurrection de Jésus, basée sur le témoignage des disciples, a thématisé ce que, au début, était seulement indirect.
Le premier chapitre de l’ouvrage (1–52) a une signification spéciale pour l’ensemble, puisqu’on y entrevoit les préoccupations heuristiques de l’a. Celui-ci essaye de distinguer le Jésus d’une certaine recherche exégétique »majoritaire«, laquelle se montrerait plutôt sceptique à accepter comme historiques toutes les données relatives à la dernière Cène, et le Jésus d’autres courants exégétiques, lesquels accorderaient dès le début une historicité forte aux textes. Ainsi à propos de l’encadrement de Jésus dans le judaïsme de son temps, l’a. se demande sur la tension entre Jésus le prophète juif et le fait qu’il invite à manger son corps et à boire son sang. Ou, à propos de l’autocompréhension de Jésus, on se demande s’il est possible qu’il ait donné à sa mort imminente un sens de rédemption – sens nié, d’après l’a., par beaucoup d’exégètes. À propos du penchant eschatologique de Jésus, l’a. dénonce une vision – d’après lui, trop répandue – de Jésus comme prophète apocalyptique de la fin de l’histoire, laquelle s’heurterait à l’ouverture vers un futur d’espérance. Finalement, l’a. dénonce le fait que, »in contrast to popular Christian belief« (21), un non nombre d’exégètes pensent que Jésus n’a pas fondé l’Église. Par contre, pour l’a. Jésus aurait donné une valeur cultuelle aux paroles de la dernière Cène: il serait »the founder of a cultic rite« (27).
Le chapitre premier finit avec une discussion sur la méthode (28–52). L’a. met en question les critères d’authenticité par rapport au Jésus historique et propose de les substituer par »historical arguments« (33), qui devraient être vérifiés à travers la plausibilité du contexte juif, la cohérence avec le reste des matériaux évangéliques (Synoptiques et Jean) et les effets dans la communauté primitive. L’a. se déclare épigone d’E. P. Sanders mais dans sa formulation on reconnaît aisément les propos de Theissen-Winter dans leur ouv-rage sur le thème des critères (anglais, 2002). D’autre part, l’a. voudrait placer son notion d’historicité dans les »contenus« des paroles (et actions) de Jésus ( substantia verborum Jesu plutôt que l’inexacte substantia verba Jesu), et aller au delà de J. Jeremias (»paroles« de Jésus, ipsissima verba) ainsi que de J. P. Meier (»message« de Jésus, ipsissima vox). Soit qu’il en soit, pour l’exégèse la question centrale reste la dimension critique de l’analyse des textes.
Bref, l’ouvrage de l’a. se concentre autour de la Pâque juive, que Jésus aurait célébré pendant sa dernière cène, en y rattachant l’alliance et en créant un nouveau rituel pascal, qui serait le signe prophétique d’un nouvel exode et renverrait à la venue du Royaume à travers sa propre mort, celle-ci comprise dans l’horizon du Servant souffrant et donc ayant un pouvoir sacrificiel et rédempteur, qui devrait être célébré dans le futur par ses disciples. Cette conclusion est basée sur l’assomption de l’a. d’après laquelle l’Evangile selon Jean présenterait une terminologie propre de la Pâque juive, pa-reille à celle des Synoptiques, et par conséquent la dernière Cène serait nettement pascale.
Néanmoins, il y a trois coïncidences entre Jean et Marc aux-quelles l’hypothèse de l’a. ne donne pas une réponse convaincante: 1) Jn 18,28, avec Mc 14,2, affirment que les autorités juives veulent que la mort de Jésus ne coïncide pas avec le 15 nissan, le jour de la Pâque juive; 2) Jn 13,1, avec Mc 14,12, identifient le 14 nissan, le jour de préparation de la Pâque (qui inclut le sacrifice des agneaux), avec le jour de la cène et de la mort de Jésus: un jour entier qui com-mence jeudi soir après la couchée du soleil avec la cène et finit vendredi soir; 3) Jn 13,2, avec Mc 14,12, n’affirment pas que Jésus et les disciples ont mangé l’agneau pascal (Lc 22,15 n’a pas de parallèles avec Mc et Mt). En ce qui concerne le reste de données, et malgré les efforts harmonisateurs de Pitre, celles-ci montrent qu’il n’y a pas d’accord entre les Synoptiques (Cène pascale) et Jean (Cène non pascale, mais avec une tonalité pascale). En faveur des premiers, il y a surtout la mention d’un »hymne« ou psaume/s ( hymnon) chanté à la fin du repas (Mc 14,26). En faveur de Jean, on doit tenir compte surtout du développement des événements du 14 nissan – qui, malgré les efforts de l’a., font peu de sens si on les place le 15 nissan. Il est donc compréhensible que pour la plupart des auteurs (même Joseph Ratzinger – Benoit XVI!), parmi lesquels je me compte, la dernière Cène de Jésus n’a pas été pascale.
Or, cette conclusion n’empêche pas d’affirmer la valeur sacrificielle de la Cène et son lien intrinsèque avec la mort rédemptrice de Jésus. Une exégèse vigoureusement critique ne conduit pas à une théologie sans force. Au contraire, une bonne exégèse des textes de la dernière Cène constitue la base nécessaire pour une théologie de la mort salvatrice de Jésus et une théologie du sacrement de l’Eucharistie, qui constituent deux noyaux centraux du christianisme.