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Ausgabe:

Juni/2021

Spalte:

529–534

Kategorie:

Judaistik

Autor/Hrsg.:

Breuer, Isaac

Titel/Untertitel:

Werkausgabe.

Verlag:

Hg. v. M. Morgenstern u. M. Hildesheimer. Münster u. a.: LIT. Bd. 1: Frühe religionsphilosophische Schriften. 2017. XVI, 583 S. = Texte und Studien zur deutsch-jüdischen Orthodoxie, 4. Geb. EUR 99,90. ISBN 9783643133915. Bd. 2: Schriften zum Zionismus und Agudismus. Hg. v. M. Morgenstern u. M. Hildesheimer. 2018. XII, 584 S. = Texte und Studien zur deutsch-jüdischen Orthodoxie, 5. Geb. EUR 99,90. ISBN 9783643133922. Bd. 3: Frühe literarische Texte. Hg. v. M. Morgenstern u. M. Hildesheimer. 2018. XI, 284 S. = Texte und Studien zur deutsch-jüdischen Orthodoxie, 6. Geb. EUR 39,90. ISBN 9783643133939. Bd. 4: Der Neue Kursari. Ein Weg zum Judentum. Hg. u. kom. v. M. Morgenstern u. G. Necker in Verbindung m. H. M. Dober. 2020. VIII, 476 S. = Texte und Studien zur deutsch-jüdischen Orthodoxie, 7. Geb. EUR 69,90. ISBN 9783643137548.

Rezensent:

Dominique Bourel

L’excellente collection Texte und Studien zur deutsch-judischen Or-thodoxie dirigée par les professeurs Matthias Morgenstern (Tübingen) et Meir Hildesheimer (Bar Ilan) vient de s’enrichir des quatre volumes des œuvres d’Isaac Breuer (1883–1946). C’est un évènement très important non seulement pour l’étude du judaïsme allemand mais encore pour la pensée juive en général. D’abord il montre toute l’importance des études sur l’orthodoxie allemande, longtemps le parent pauvre de la recherche sur le judaïsme germanique devenu une véritable discipline autonome. Ensuite il nous fait entrer dans la famille Breuer un monde en soi, d’autant plus qu’il est bien vivant aujourd’hui notamment en Israël et aux USA.
Héritier de la prestigieuse famille de Shimshon Raphael Hirsch (1808–1888), il en est le petit-fils, Isaac Breuer a développé au long de sa vie une pensée originale, une philosophie religieuse entée sur deux traditions, celle du judaïsme traditionnel et celle rédigée en grande partie en langue allemande. Ces quatre volumes d’une édition très soignée offre une série de textes très variés, des articles de journaux, des véritables petits traités et, tout récemment, son ouvrage le plus connu, Der Neue Kuzari.
Isaac Breuer, désormais mieux connu grâce aux travaux de Matthias Morgenstern, Yeshaya P. Balog, Alan L. Mittelman, George Y. Kohler, Asher Biemann, Denis Maier, Rivka Hourwitz et quelques autres auteurs, est né à Papa, en Hongrie le 19 septembre 1883. Son père est le le rabbin Salomon Breuer (1850–1926), gendre de S. R. Hirsch, avait soutenu sa thèse à Heidelberg après un séjour à la Yeschiva de Pressburg, et remplacé son beau père ce dernier à Francfort sur le Main. Ainsi qu’il est d’usage dans le monde tradi-tionnel, d’abord élève de son père, Isaac sera scolarisé dans cette ville à la Realschule juive fondée par son grand père, et à la Yeschiva crée par son père. Cette mémoire hongroise de l’orthodoxie allemande un un point souvent négligé par les historiens qui est pourtant fascinante chez des auteurs comme Jacob Katz ou Alexander Altmann. Issac en gardera la conviction de la centralité du Talmud. Il poursuit des études philosophie, de germanistique et de droit à Giessen, Strassbourg, Marbourg et Berlin où il défend sa thèse, Die rechtliche Natur der Patentlizenz en 1912. Il s’installe comme avocat à Francfort l’année suivante, ayant bien entendu refusé le baptême qui lui ouvrait une possibilité d’habilitation. Très actif dans les associations orthodoxes, président du Bund Jüdischer Akademiker, de l’Agoudat Israel – dont il est des cofondateurs à Kattowice en 1912– il participe à la naissance des Poalei Agoudat Israel à Lodz en 1923, sans négliger la culture allemande et même européenne, »J’ai étudié Kant en tant que juif« écrit-il dans ses souvenirs. Pour lui la cé-lèbre injonction de Samson Raphael Hirsch, »Torah ‘im Derech Eretz« n’est pas tant le centre que le résultat de cette pratique. C’est un but atteindre, une synthèse de la culture occidentale et judaïsme se réfléchissant lui-même. Il s’est rendu en Palestine en 1926 où il s’installe en 1936 et décède en 1946 à 63 ans. Peu de temps avant, il avait été auditionné le 13 mars 1946 par la commission anglo-américaine enquêtant sur les possibilités de la création d’un état juif. Celui qui ne compta pas ses adversaires, écrit: »Béni soit celui qui dans sa sagesse créa Kant. Tout vrai Juif qui étudie sérieusement et honnêtement la Critique de la raison pure est tenu de répondre Amen«.
Le premier volume imprime les premiers écrits de philosophie religieuse. Deux des textes les plus importants portent sur »l’essence du judaïsme« et Hermann Cohen dont la pensée du germano-judaïsme a pesé lourd jusqu’à la première guerre mondiale et aussi durant la République de Weimar. Plus surprenant est la recension positive du célèbre ouvrage de Werner Sombart (1863–1941), Les Juifs et la vie économique (1911) qui fut au centre d’un débat avant la guerre! Outre les textes de jeunesse »Messiasspuren« au titre blochien, l’ouvrage le plus important est bien entendu Judenproblem, publié en 1918 qui connaitra une quatrième édition en 1922. 13 chapitres extrêmement concis articulent deux investigations: les Juifs comme face à différentes unités, de race, de religion, de haine (qui les constitue), de l’amour et de l’histoire puis Theodor Herzl et le sionisme dans ses rapports aux juifs de l’Ouest, de la religion et de la nation. Trois chapitres évoquent la nuit de Pessah, l’essence du judaïsme – sur laquelle il a publié un texte qui ouvre ce volume – et le Judaïsme occidental. Il attaque la confessionnalisation du ju-daïsme, sa limitation à une simple suite de propositions théolo-gique et le judaïsme libéral. L’humour n’est pas toujours absent: l’intitulé de » Freie Vereinigung für Interessen des orthodoxen Judentums in Deutschland« évoque le »Generalober-Finanz-Kriegs- und Domänendirektorium« de Frédéric Guillaume de Prusse! Dans le parallèle fréquent entre Luther et Moses Mendelssohn, il montre bien l’originalité de ce dernier, trahi par ›disciples‹. Comme le dit Breuer »Reformieren lässt sich nur reine Lehre. Aber ein Gesetz lässt sich nur aufheben«. Il est bien plus critique de l’assimilation que du sionisme mais il doute que sous la forme qu’il a devant les yeux, il puisse guérir la ›nation juive‹ qui est malade tant qu’elle ne reconnaît pas qu’elle est voulue et élue par Dieu. Mais la majorité du judaïsme allemand semble perdue pour le Judaïsme qui est malade à cause de la paupérisation de l’Est et la dissolution de l’Ouest alors que »seul le messianisme peut venir en aide«. En réalité, il n’y a pas de place pour la nation juive dans le concert des nations mortelles.
Le deuxième volume, les textes sur le sionisme et l’agoudisme, traite des questions plus politiques, prenant acte d’une aspiration vers le renouveau du Judaïsme, la difficile question de l’émancipation au moment o son échec est évident. Une série de huit let-tres (Erez Jisroel-Briefe) et des prises positions dans les débats de l’époque, le problème politique de la terre sainte, son intervention face à la ›Commission Peel‹ du 21 décembre 1936 ainsi qu’une mise au point sur les politiques actuelles, la position de l’Agoudat Israel non seulement dans le judaïsme mais face au sionisme tel qu’il s’incarna dans la Palestine mandataire.
Le troisième volume permet d’entrer dans une partie de sa création aujourd’hui moins lue mais dont l’écho fut important en son temps, celui de la création littéraire en orthodoxie: les évocations de Herzl et de Schiller, des poèmes et des courts textes montrent une véritable aspiration à la littérature, sans doute retenue et même peut-être refoulée. Ce volume montre un autre aspect, pas toujours très connus, de Breuer, sa production littéraire et historique, ainsi que des écrits de circonstances et, pour la première fois une nouvelle intégrale Jérusalem (1903) flanquée d’une eulogie sur Herzl (1904). On trouve aussi des poèmes; cet autre style, plus proche des belles-lettres lui permet d’avancer ses thèses philosophique et politique.
Le quatrième volume offre une pièce imposante qui se donne comme un roman intitulé Le nouveau Kouzari publié en mais déjà sérialisé à partir de la fin de l’année 1930 dans la revue Nach’lath Z’evi.
L’édition suit le texte publié par la ›Rabbiner-Hirsch-Gesellschaft‹ de Francfort sur le Main en 1934. Il ne fut traduit en hébreu qu’en 2008 par … son fils Mordechai Breuer!
C’est le Bildungsroman de l’orthodoxie allemande, qui a dû surprendre plus d’un lecteur. L’un des plus attentifs fut Gershom Scholem qui en fit une recension en première page de la Jüdische Rundschau du 17 juillet 1934, publiée à part à Berlin en 1935 commentée en fin de volume par Hans-Martin Dober (438–451).
On connaît l’importance de l’ouvrage éponyme du Judah Halévi (1075–1141), écrit en arabe ca 1140 puis traduit en hébreu notamment par Judah ibn Tibbon et très lus et traduits en terres chrétiennes. Cette pièce centrale de l’apologétique juive fut aussi très commentée dans le monde juif. Fondé sur un événement, sans doute légendaire, du VIIIe siècle, de la conversion des khazars au judaïsme dans un dialogue fictif entre un Chrétien, un Musulman et un Juif, l’ouvrage allie le refus de l’irrationnel tout en affirmant les limites de toute philosophie.
Après ce titre très ambitieux et qui ne pouvait qu’attirer l’attention des lecteurs, quatre livres articulent une composition parfois difficile à suivre autant romanesque que théologique.
Le roman articulé en quatre livres suit la réflexion théologique d’Alfred Roden (ex Abraham Rosenstock), fils du directeur de banque Max Rosenstock. C’est l’itinéraire d’un juif parfaitement assimilé, mais circoncis, qui va revenir vers le judaïsme et la tradition de Francfort avec son histoire si chargée. Il passe en revue les différentes options, orthodoxie classique (communautaire) libéralisme et sionisme qui non seulement ne sont pas satisfaisantes mais lui paraissent souvent une trahison. Les discussions sont pleines d’al lusions, explicitées avec science. Roden mène un dialogue sans concession avec plusieurs interlocuteurs: D’abord un mizrachiste, puis d’autres intervenants représentants des aspects différents du judaïsme qui lui permettent d’affirmer ses thèses philosophico-théologique, l’histoire juive comme métahistoire et son désir de transcender le pays d’Israël en un ›métapays‹, fondé sur la sainteté de la Torah et le concept de Knesseth Jisrael qui peut rendre vivante les mots de la Tora. On reconnaît les grands acteurs du temps, le Würzburger Rav Seligmann Bamberger mais aussi Cäsar Seligmann, Isaak Unna et bien entendu Samson Rafael Hirsch parfois sévèrement critiqué.
La discussion traite ensuite des rapports avec la société (le sionisme peut très bien s’accommoder du libéralisme et du conservatisme, mais un juif allemand n’est pas comme un catholique ou un protestant allemand, anglais, français etc. C’est toute la question du ›judéo-germanisme‹ qui est envisagée, est-on plus allemand ou plus juif? Mais que faire de la néo-orthodoxie, en réalité un séparatisme, critiquant même l’orthodoxie allemande, réductrice du judaïsme à une confession comme les autres. Le débat est dès lors focalisé sur les sionismes et le rapport entre le judaïsme et le nationalisme, le judaïsme et la sacralité des textes fondateurs et même la science du judaïsme et le critère de la vérité objective. Nous arrivons alors à l’exigence non pas métaphysique mais métahistorique, centrale dans la pensée de Breuer.
La discussion est vive, pleine d’allusions que les notes explicitent avec science avant de revenir sur la question de la communauté unifiée dans laquelle toutes les sensibilités et le pratiques devraient pouvoir cohabiter, ce qui faut-il le répéter, n’était pas le cas à Francfort, à Berlin et dans d’autres communautés! La communauté juive est une Blutgemeinschaft ET et une Geschichtlichegemeinschaft. L’occasion est bonne pour détailler la position de Hirsch et son histoire. Il ne faut pas oublier la querelle de succession survenue après la mort de Salomon Breuer rabbin de l’Israelitische Religionsgemeinschaft de 1888 à 1926 qui fit rage et dans laquelle Isaac était mêlé au coté de Raphael Breuer! Le débat s’enflamme entre radicalité et l’hésitation. Après avoir cherché en Europe où retrouver de situations analogues, il s’interroge sur la Palestine où on préfère parler de Knesseth Jisrael que de Am Jisraël. En Palestine aussi il y a une ›liste des sortants‹! Alfred-Abraham se demande quel est le véritable sens d’une ›orthodoxie indépendante‹. Pour Bernheim elle est encore plus bourgeoise que le sionisme. Il avoue ne plus pouvoir changer malgré ses critiques. Même s’il est impitoyable dans son diagnostique: Hirsch n’a pas pu ‘secouer’ l’orthodoxie juive allemande, a refusé tout travail en commun avec ses collègues libéraux, refusant même de s’asseoir à la même table. Le premier livre s’achève donc sur un constat tragique.
Adolf Abraham informe son père qu’il ne peut plus manger à sa table et même qu’il doit quitter la famille. Aucun de deux interlocuteurs ne peut véritablement le ramener à la Tora vers la divinité de Dieu et de la terre. Il passe alors à un sujet brulant, celui de l’antisémitisme, »Juif est celui qui est combattu par l’antisémitisme«. Pour lui, l’antisémitisme et l’antijudaïsme sont identiques. Et de revenir sur les débats du temps concernant la race. Le judaïsme doit continuer à vivre car ils n’ont pas encore réalisé leur mission. »Etre juif allemand signifie: se sentir responsable en tant que juif pour l’avenir du peuple allemand«. Mais les juifs ne peuvent quitter la métahistoire, s’il partage l’histoire des peuples alors ils seront de nouveau en but à l’antisémitisme.
Ils n’ont rien à chercher dans l’histoire. C’est la raison pour laquelle le sionisme est une bêtise (Dummheit).
Son père s’interroge alors sur la signification de la déclaration Balfour. La réponse est claire: Dans cet événement, c’est Dieu qui a fait interferer l’histoire et la métahistoire. Il précise: il n’est pas question que la Palestine soit juive comme l’Angleterre est anglaise; il s’agit de construire un Tora-Heim métahistorique soutenu par Dieu. On ne peut reproduire ici une discussion très serrée parfois très vive: »Papa il n’y a pas de place pour toi dans l’histoire, pour aucun juif. Dieu ne nous laisse pas«. A une métahistoire devrait répondre un ›métapays‹. Dans la Knesseth Jisrael, la connaissance de Dieu est immédiate, elle est d’ailleurs la preuve unique de l’exis-tence de Dieu. La communauté est encore en construction, plus un brouillon, qu’une réalisation achevée. Elle n’a plus, ou pas encore, le pays à l’intérieur duquel la Tora, comme volonté étatique souveraine.
La description des festivités du jubilé du Dr. Seelenfreund (= Cäsar Seligmann) offre une géographique de la société juive en passant en revue toutes ses fonctions et les institutions qui y participèrent. Lors du toast, on prétendra que le vin est cachère, ce qui n’etait pas le cas. Lorsqu’il veut quitter Bernheim ce dernier semble redouter la fin d’un contact. Il redoute une situation identique à celle de l’enterrement de Markus Horovitz, rabbin de l’orthodoxie communautaire, en 1910 auquel Salomon Breuer refusa de se rendre! Lors de cet événement le président de la communauté Jacob Rosenheim, l’attaque de manière virulente. Breuer par la bouche de Bernheim critique l’IRG et les problèmes de succession afférents au décès de Salomon Breuer en 1926. Il y a des pages terribles, où Alfred-Abraham critique la communauté assez loin de l’idéal. Ce dernier se défend pied à pied, »La Tora n’est n’est pas au ciel«. Mais le peuple juif n’est-il pas l’incarnation de la création divine et n’en dépendent pas simplement comme les peuples naturels? On peut toutefois discerner une sorte de renaissance de la pensée de Hirsch dans les années vingt/trente. En effet on en revenait à une sorte de vitalisme intrinsèque au peuple juif, loin d’une dogmatique étriquée et d’un simple objet de science. Il y a deux sortes de communauté: une communauté idéale et celle qui est insérée dans l’histoire. Dans la première il n’y a pas de Austritt, de départ hors d’une communauté. C’est la loi (prussienne) qui permit ce pas catastrophique car la communauté juive participe à l’éternité du peuple juif. Ce refus des déviances liturgiques et intellectuelles ne sont que de l’ordre du politique. Pour la tora il n’y a pas de communauté séparée! Hirsch n’aurait pas créé une nouvelle communauté mais un nouvel or-gane, des institutions au service de la Knesseth Jisrael.
Après la séparation des deux interlocuteurs car c’est bien Alfred-Abraham qui devient de plus en plus radical d’Alfred Abraham doit délaisser famille, appartenance (Heimat), nation tout ce qui en-trave la réalisation de la Knesseth Jisrael . Il revient sur mAv 2,2, ›Torah und bürgerliche Geschäftstätigkeit‹, ›torah und burgerliche Angelegenheit‹ interprétée non de façon individuelle mais histo-rique. Ta torah doit régner sur toute la vie nationale, dans un sens abrahamique alors que le sionisme sépare erez et torah. Un nouvel interlocuteur Herr Reiter, »né dehors«, (als Austrittler geborene ist) déplore qu’une grande partie des Ostjuden ne se soit pas ralliée à eux car on les a maltraités et il indique que le séparatisme n’a pas renforcé l’orthodoxie en Allemagne, au contraire, l’a affaibli: il faut non pas agrandir la séparation, mais tenter de la réduire sans renoncer aux principes de SRH. Aujourd’hui il écrirait bien différamment. Intervient alors un Herr Honig, sans doute sur le modèle du rabbin Isaak Unna (1872–1948) qui a tenter de réunir Separatorthodoxie et Gemeindeorthodoxie: il créa pour cela Achduth – Vereinigung ge-setzestreuer Juden Deutschlands, très critiquée par Breuer. Mais on rappelle que SRH a été obligé de se défendre de tous les côtés afin de créer une communauté sur le modèle de Jérusalem. Mais il n’y avait aucun contact avec les Ostjuden, et leur condamnation de l’embourgeoisement de, orthodoxie en proie désormais aux soupçons. Les jeunes vivent souvent dans une bulle de gens du même bord, dans différentes associations; il se demande si le judaïsme a encore un avenir en Allemagne ou s’il faut aller en Palestine. Il signe pourtant le Herem en 1932 contre les écoles en Palestine! Son interlocuteur s’éloigne du judaïsme et ne croit plus à la sainteté de la Tora. Il est perdu, ni les allemands, ni les orthodoxes, ni les libéraux ne veulent de luiet je ne crois pas au miracle sioniste. Pour AA celui qui demande des preuves de la sainteté de la torah n’a jamais été un bon juif ou bien a cessé d’être juif. L’histoire est une suite de preuves réfutées: une vérité inconditionnée comme la sainteté de la Tora ne peut être objet de preuve. Ein bewisener Gott ist ein entgotterter Gott. Eine bewiesene Thora eine entthronte Torah (261). Cela dépasse la raison. Révélation. Kant a déjà souligné les limites de notre connaissance. Passage philosophique, Descartes, Kant, Fichte, Schopenhauer, parcourt les domaines de la connaissance. Il est particulièrement virulent contre la critique biblique (319). Entre critique biblique et juif de la tora il n’a aucun lien, comme entre le solip-siste et celui qui reconnaît un monde objectif (323). La tora est le Sprachtat de Dieu (324); il faut la lire ›en tant que juif‹ (329). Kneseth Jissrael ist de jüdische Nation als lebendghe Trägerin des überliefeten göttlichen Worts. La langue est souvent explicite mais intraduisible: Zijaun marque peut-êre une distance à l’égard du sionisme comme Jerushalajim. Il ajoute après un long commentaire du penseur de Königsberg »Wäre Kant Jude gewesen: er hätte unserem Volk die ganze Reform ersparrt«.
Breuer décrit l’origine métaphysique du monde et la destina-tion métahistorique dans une grande envolée cosmologique puis précise sa conception de la prophétie: le prophète reconnaît (er­kennt) et sait en même temps que c’est Dieu qui est à l’origine de cette connaissance. La prophétie est une parole révélée. La tora et la science ne sont pas des sources égales de la connaissance; c’est la science qui doit se justifier devant la Tora et non l’inverse. En effet la Tora exprime l’en soi des choses alors que la science et la nature s’en tiennent aux phénomènes. Pour SRH Ausstrit de la communauté juive était simplement la réinstallation de la domination de la tora sur la vie sociale juive (395) car il redoutait que l’orthodoxie communautaire ne mène qu’à l’orthopraxie individuelle. Nous avons besoin aujourd’hui de juif complet, ganze Juden, »Ganz sei mit deinem Gott«.
Donc c’est la tora im derech erez Jissrael (421) qui arrive en toute fin de parcours, créant donc le »tédaïsme« selon l’acronyme de la formule. Roden et ses amis fondent une cellule originaire nommé tédaismus, réveil des juifs par la métahistoite pour arriver eu peuple juif et à sa terre sous la souveraineté de la tora.
Il y a donc une dialectique entre entre un monde théosophique et un monde réel: ces deux mondes sont métahistoriques mais ce rapport reste souvent caché à ses acteurs et parfois même à ses lecteurs. Un drame cosmique entre peuple juif et peuples du monde seront frappés par les évènements sanglants (les guerres) et ceux qui vivaient une utopie (déclaration Balfour, établissement du Mandat). Révélation, Exil et Rédemption se situent dans une autre monde témoin d’éteincelles de transcendance.
Ce texte fut sans doute plus facile à lire en livraison séparée et régulière qu’en ouvrage compact, qui n’évite pas toujours les répétitions sur un mode parfois incantatoire. De même les allers et retours entre la philosophie et les évènements immédiats peuvent dérouter. Il est aujourd’hui difficile à comprendre car on passe de la philosophie à la politique, de cas concrets (allemands) à des espoirs du judaïsme mondial, mais toujours rêvé. Certes »la voie royale vers le Judaïsme est le talmud«. Chez Breuer elle est articulé avec la pensée de Kant, mais »lu en tant que juif«. Il voulait d’ailleurs pour diffuser sa vision du monde créer un établissement d’enseignement à mi distance entre l’université et la yeschiva ›Institut Bina la-Ittim‹ dont on a retrouvé la conception (Matthias Morgenstern und Yeshaya Balog, »Institut ›Bina la-Ittim‹« in Judaica 74 Jg. [2018], Heft 4, 105–111, tout ce cahier remarquable est consacré à Isaac Breuer). La lecture de ces textes montre une figure assez tragique, en Allemagne puis en Palestine, pourtant lue et discutée. Il faut dire que cette génération a payé un prix fort et même démesuré dans la confrontation avec l’histoire la plus quotidienne. Rappelons qu’il a cosigné une lettre à … Hitler en octobre 1933. Sans doute voulut-il mener trop de combat sur le fond d’un monde en ruine, contre une certaine émancipation, le libéralisme, l’orthodoxie comme culture bourgeoise, la critique biblique et le sionisme politique, selon lui athée. Les témoins (par exemple Abraham A. Fraenkel) se souvienne d’une ironie mordante!). Pourtant son aspiration à installer toute la communauté juive dans une méta-histoire ne laisse pas d’impressionner. On retrouvera de tels accents chez Franz Rosenzweig son presqu’exact contemporain mais dont l’Etoile de la rédemption (1921) est plus structuré. Fut-il un sioniste malgré lui comme l’a demandé Asher Bieman dans un article célèbre? Sa pensée exigeante d’un judaïsme souvent utopique, expérimenté et vécu au sein d’un peuple structure aujourd’hui la vit de millions de Juifs.
Tous les volumes sont soigneusement édités et annotés avec science, et flanqués de plusieurs indices. Citations et allusions sont élucidées aidant le lecteur plus ou moins profane. Enfin rendons hommage non seulement aux deux maitres d’œuvre de cette éditions Matthias Morgenstern et Meir Hildesheimer mais aussi au courage de l’éditeur qui offrant ainsi, aidé par la Fondation germano-israélienne pour la recherche et le développement scienti-fique (GIF), une série de volumes superbes et indispensables non seulement à l’histoire du judaïsme mais encore à l’histoire des religions!