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Ausgabe:

April/2019

Spalte:

312–315

Kategorie:

Bibelwissenschaft

Autor/Hrsg.:

Paul, André

Titel/Untertitel:

Biblissimo. L’Antiquité judaïque par les livres et par les textes.

Verlag:

Paris: Les éditions du cerf 2018. 482 S. = Collection Histoire. Kart. EUR 34,00. ISBN 978-2-204-10646-7.

Rezensent:

Jean Riaud

Biblissimo, un superlatif. Ce titre qui surprend, dit fort bien l’ampleur et l’ambition de cet ouvrage, fruit, nous confie son auteur, de »cinq bonnes décennies de travail passionné«. Son projet était de redonner vie à une production littéraire allant du IIIe siècle avant notre ère jusqu’aux premiers temps de notre Moyen-Âge, plus précisément, de replacer le corpus biblique, Ancien et Nouveau Testament réunis, à la croisée multidirectionnelle des courants d’images et d’idées ayant nourri sa gestation et plus encore sa postérité. Le projet est réussi et, selon nous, magnifiquement, avec ce livre qui, annoncées par le sous-titre, L’Antiquité judaïque par les livres et par les textes, comprend deux parties: La production littéraire du judaïsme ancien et Les figures bibliques dans une galaxie de légendes.
Suivent, après un convaincant plaidoyer pour une »Antiquité judaïque«, neuf chapitres qui sont une revue exhaustive d’un grand nombre d’écrits de cette »Antiquité«. Au nombre de ces écrits, nous avons les manuscrits de la mer Morte auxquels P. a consacré de nombreux travaux dont il offre ici une brillante et passionnante synthèse en une dizaine de pages intitulées Les révélations des manuscrits de la mer Morte. Signalons celles consacrées à une saine déconstruction du »mythe essénien« et aux lumières sur les sources de la doctrine chrétienne que les textes de Qumrân apportent.
Avec le chapitre 3 nous découvrons la version grecque de la Loi, appelée Septante, et sa fécondité spirituelle. P. montre excellemment comment par le biais de ses traductions en de nombreuses langues anciennes, la Septante contribua à la naissance et au développement de la culture occidentale. Les Ioudaioi implantés dans les cités hellénistiques, à Alexandrie surtout, perçurent très vite dans la Loi de Moïse l’homologue de ce que l’œuvre d’Homère était pour les Grecs. De nombreux passages, de Moïse pour les Ioudaioi et d’Homère pour les Grecs, se présentaient comme des énigmes à résoudre. L’interprétation allégorique dont les Stoïciens, fort amateurs de cette manière de moderniser les traditions anciennes, représentaient une philosophie relativement récente, désireuse de disposer d’un texte sacré. Comme Homère était considéré comme l’auteur au savoir total et universel, ils surent voir en lui la source de leurs doctrines. Les Ioudaioi eux s’efforcèrent de transposer leur argument au bénéfice de leur cause et magnifièrent Moïse comme les Stoïciens magnifiaient Homère, considérant que Moïse l’emportait sur Homère, qu’il était à l’origine de toute culture, de toute discipline et de tout savoir. Pour ce faire ils utilisèrent, comme les Stoïciens, l’interprétation allégorique. Deux auteurs se distinguèrent, le philosophe Aristobule (–180–145) et Philon d’Alexandrie. Les fragments des œuvres du premier, conservés par Eusèbe de Césarée et les traités du second sont longuement présentés.
Implantés dès le début du IIIe siècle dans les terres méditerranéennes et orientales, des groupes de Ioudaioi avaient adopté la langue des Grecs. Imprégnés et peut-être même séduits par la cult-ure de ces derniers, ils n’en demeuraient pas moins les ardents défenseurs de leurs croyances et traditions ancestrales. Des auteurs dont les textes ont été conservés s’employèrent à magnifier les héros nationaux en donnant d’eux une biographie bien plus riche que ce qu’en dit notamment la Loi de Moïse. Ils n’hésitèrent pas à faire dépendre de Moïse tant la culture grecque que toute autre antérieure. P. nous fait connaître ces historiens et ce que nous possédons de leur œuvres. Nommons Démétrios et son histoire chiffrée des Iudaioi, Artapan qui s’intéressa à trois grands héros bibliques, Abraham, Joseph et Moïse, Cleodeme Malchus et la postérité africaine d’Abraham, le Livre des Antiquités bibliques, réécriture de l’histoire du peuple d’Israël, de la création du premier homme à la mort de Saül, et, bien évidemment, Flavius Josèphe, l’historiographe exemplaire.
Des Ioudaioi vivant dans les sociétés hellénisées, nous possédons aussi des œuvres poétiques composées à la manière des Grecs, mais toujours respectueuses de l’héritage ancestral représenté par la loi de Moïse. Certaines sont signées de leur auteur; c’est le cas de l’Exagôgè ou »Exode«, drame en vers d’Ézéchiel le Tragique. Mais nombre d’entre elles sont pseudonymiques, portent le nom de grands poètes grecs comme les Sentences du Pseudo-Phocylide, voire même de la Sibylle, comme la collection des Oracles sibyllins.
Avec le chapitre sept, nous pénétrons dans le vaste domaine des apocalypses et testaments littéraires. Une première approche d’un genre littéraire multiforme nous est proposée, nous fournissant d’utiles précisions sur les effets a posteriori de l’Apocalypse de Jean et sur les divers éléments grâce auxquels les œuvres »apocalyp-tiques« se reconnaissent. Ces éléments dont un inventaire est dressé sont, chacun, l’objet d’une présentation très précise. Ils se retrouvent dans ces écrits judaïques que sont Ier et IIe Hénoch, IIe et IIIe livre de Baruch, IVe livre d’Esdras, Apocalypse et Testament d’Abraham, Testament de Moïse, Apocalypse de Sophonie et Testament de Lévi. Parmi les manuscrits de la mer Morte, est à mentionner La Règle de la guerre des Fils de Lumière contre les Fils des Ténèbres (1Q M). On peut ajouter, mais plus tardif, un corpus d’œuvres chrétiennes et gnostiques, voire même des restes littéraires d’origine perse et gréco-romaine.
La lecture du chapitre 8, »Le système des rabbis ou la plénitude de la Torah«, aide à voir comment Torah et judaïsme sont deux réalités qui s’impliquent l’une l’autre. Sans le mot, le judaïsme s’af-firme progressivement à partir du IIe siècle comme avant tout l’œuvre des rabbis pour lesquels il n’y avait que la Torah: »Torah écrite« nommé Mikerâ au VIIIe siècle et »Torah orale«, constituée essentiellement du Talmud, textes aux virtualités infinies, à l’instar de Dieu qui l’habite, un Dieu que l’on présente avec les qualités et vertus d’un rabbi de la Yeshiva céleste, rabbi ou sage suprême prenant part aux débats sur la Torah, éternelle comme lui. Une présentation très précise est faite de la Mishnah, du Talmud, épanouissement total de la Torah, des différents Midrashim et des Targums ou vraies Bibles araméennes.
Vers la fin de l’Antiquité, la construction rabbinique se trouvera dotée d’un supplément d’âme que l’on peut dire »mystique«. Le témoin le plus ancien de ce supplément d’âme se trouve dans la vi-sion du »char (divin)« d’Ézéchiel (ch. 1 et 10). Cette page d’Ézéchiel représente une manière symbolique de percer le mystère de Dieu. Mais, par la suite, la forme de la vision évolua et même se trans-forma. P. retrace les étapes de cette évolution et de cette transformation: cette vision qui ne sera plus celle d’un char volant d’où la gloire divine rayonne en majesté. Elle interviendra au terme d’un voyage vers le troisième ou septième ciel, effectué par Hénoch, Abraham, Moïse, Elie et, plus tard, par d’éminents rabbis, et, au mystérieux véhicule volant, on donna un nom: merkavah ou »char«. Par la suite, le mot signifiera la Gloire divine rayonnant du trône divin, et dès lors, il désignera l’expérience exceptionnelle de l’homme disposant du privilège d’approcher ce lieu saint, et il sera l’équivalent d’»expérience mystique«. Une littérature existe dite de la Merkawah, faite de pièces plus ou moins brèves qui se rassembleront pour constituer de véritables recueils appelés Hékhalôt. On sait aujourd’hui que des écrits autonomes d’une Merkawah véritable circulaient dans la société judaïque bien des décennies avant notre ère. On a retrouvé dans les grottes des environs de Qumrân une dizaine d’exemplaires d’une composition de poésie mystique. Ce ensemble littéraire a été intitulé Chants pour le sacrifice du sabbat. P. fait une lecture commentée des extraits substantiels de deux d’entre eux, le sixième et le douzième.
L’histoire littéraire que proposent les neuf chapitres précédents de cette première partie renvoie inévitablement au problème historique de la rupture entre Ioudaioi ou Iudæi d’un côté, christianoi ou cristiani de l’autre. Est-il possible de dater cette rupture comme un événement précis, de connaître ses modalités? À partir des années 1960, les historiens ont tenté de répondre à cette question, mais, au gré de nouvelles découvertes, les données de celles-ci n’ont cessé de se déplacer. D’où la nécessité de clarifier le problème. C’est ce que fait P. en éclairant un dossier connexe, celui de mouvements, de groupes et de livres que, depuis l’époque des Lumières, on appelle judéo-chrétiens. La métaphore de la »séparation des chemins«, part-ing of the ways, s’est imposée progressivement aux historiens de l’antiquité chrétienne. On présentait le christianisme et le judaïsme comme deux routes ayant bifurqué à partir d’une voie unique. Une séparation sous la forme d’un Y. Ce modèle fut le bienvenu pour éclairer les différences entres juifs et chrétiens et les convergences tenant à leur source commune. Il facilitera le dialogue entre les membres des deux groupes, car il détrônait »la terrifiante voie unique«. L’époque et la cause essentielle et déterminante du parting étaient encore récemment débattues. Un examen de sources an-tiques permet à P. de saisir un fait majeur dans la séparation entre Juifs et Chrétiens. Un moment clé, selon lui, est à souligner à la fin du IVe siècle chez Épiphane, au début du Ve chez Jérôme. L’observance de la Loi de Moïse par des fidèles du Christ est déclarée faute gravissime contre l’orthodoxie, une hérésie. L’extrait d’une lettre de Jérôme à Augustin que cite P. est éloquent.
La deuxième partie, Les figures bibliques dans une galaxie de légendes, est composée de trente chapitres de longueur variable. Grâce à une masse raisonnée de textes cités, nous accédons aux légendes concernant quarante-six figures bibliques, présentées selon l’ordre de leur apparition dans le déroulement du récit bib-lique: Adam et Ève, Caïn et Seth, Hénoch, Noé, etc. L’archange Michel qui intervient dans le livre de Daniel, est le dernier. Pour chacune des figures bibliques, P. a recours à deux types de sources. Premier type de sources: des traditions avec un choix de textes numérotés, chacun présenté dans une brève introduction et cité avec un titre propre. Ces textes proviennent d’œuvres fort diverses: apocalypses, testaments, targums, Mishnah, Talmud, manuscrits de la mer Morte, textes d’auteurs judaïques de langue grecque; deuxième type de sources: des livres présentés dans une introduction puis citations numérotées, chacune précédée d’un titre. C’est ainsi que pour Adam ont été retenus la Vie d’Adam et Ève, la Caverne des Trésors, le Combat d’Adam et Ève, le Testament d’Adam, l’Apoca-lypse d’Adam. Notons que l’équilibre quantitatif entre traditions et livres varie selon les personnages. Pour Adam et Ève ou Abraham, il y a équilibre. En revanche, pour Hénoch, les livres l’emportent. Mais pour d’autres, Samson et Déborah, par exemple, nous n’avons que les seules traditions.
Des annexes comprennent un index des formules et mots grecs, un autre des formules ou mots hébraïques, une liste des écrits judaïques mentionnés présentés et/ou cités, un index thématique et pluridisciplinaire, précieux pour la perception des sources conceptuelles et doctrinales du christianisme, une liste des auteurs de l’Antiquité classique et une autre des textes cités du Nouveau Testament. Ces annexes complètent cet ouvrage qui, à notre connais-sance, est unique. Les biblistes se devront de l’avoir à portée de la main, mais aussi quiconque s’intéresse aux choses bibliques. Ajoutons que nombre de problèmes d’ordre éthique et religieux, anthropologique et même politique, trouvent dans ce livre un surprenant éclairage. Ce n’est pas son moindre intérêt.