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Ausgabe:

Dezember/1997

Spalte:

1105 f

Kategorie:

Bibelwissenschaft

Autor/Hrsg.:

Harlow, Daniel C.

Titel/Untertitel:

The Greek Apocalypse of Baruch (3 Baruch) in Hellenistic Judaism and Early Christianity.

Verlag:

Leiden-New York-Köln: Brill 1996. XVII, 263 S. gr.8° = Studia in Veteris Testamenti et Pseudepigrapha, 12. Lw. hfl. 162.­. ISBN 90-04-10309-0.

Rezensent:

Jean-Daniel Kaestl

L’Apocalypse grecque de Baruch, ou 3 Baruch, longtemps considérée comme une ¦uvre mineure au sein des «pseudépigraphes de l’Ancien Testament», est pour la première fois l’objet d’une monographie. L’ouvrage de D. C. Harlow ­ une thèse de doctorat présentée à l’Université de Notre Dame (Department of Theology) et dirigée conjointement par les prof. J. J. Collins et J.C.VanderKam ­ aborde quatre grands problèmes, dont seuls les trois premiers avaient retenu l’attention de la recherche antérieure.

(1) La fin de l’ouvrage est-elle conservée dans son intégrité? (ch. 2, p. 34-76). Pour la majorité des savants, le texte actuel des ch. 11-17 résulte d’une amputation et d’un remaniement chrétien: à l’origine, le voyage céleste de Baruch devait se poursuivre au-delà du cinquième ciel et culminer dans une vision du trône divin au septième ciel. H. montre de manière convaincante que les considérations alléguées en faveur de la thèse d’une fin tronquée ne sont pas probants. La cosmologie de 3 Baruch comprend bien sept cieux, mais l’auteur a intentionnellement interrompu l’ascension de son héros. Il a ainsi privé ses lecteurs de la vision de «la gloire de Dieu» au septième ciel, pourtant suggérée par le récit lui-même (cf. 6,12; 7,2; 11,2). Par ce renversement narratif, qui frustre l’attente des lecteurs, et par cette ascension avortée, l’auteur exprime sa conviction que les humains ne peuvent accéder à la gloire de Dieu. L’ascension avortée de Baruch est d’ailleurs anticipée par plusieurs éléments du récit: refus abrupt de toute théodicée (ch. 1); échec de la tentative d’ascension au ciel des constructeurs de la Tour de Gn 11 (ch. 2-3); à la suite d’Adam «dépouillé de la gloire de Dieu», statut déchu de l’humanité (4,16-17); effroi et fuite de Baruch face à la «gloire» du soleil et du phénix (7,3-6). Pour H., la limite imposée à l’ascension de Baruch doit avoir une visée polémique, probablement contre des traditions apocalyptiques qui entrenaient l’espérance d’une restauration du Temple de Jérusalem et valorisaient la vision de Dieu dans le Temple céleste.

(2) 3 Baruch est-il une composition juive ou une composition chrétienne? (ch. 3, p. 77-108). Seul M. R. James a soutenu que le texte était l’¦uvre d’un chrétien. Mais jusqu’ici le consensus sur l’origine juive de 3 Baruch ne reposait pas sur une argumentation solide. Grâce à H., cette lacune est maintenant comblée. Son analyse montre certes que les éléments explicitement chrétiens ­ souvent différents dans la version grecque et dans la version slave ­ ne sont pas primitifs. Mais ce constat ne suffit pas à exclure qu’un auteur chrétien ait rédigé une ¦uvre dépourvue de marques chrétiennes. La preuve décisive ne peut être apportée que par l’identification d’un élément exclusivement juif. H. démontre magistralement que cette preuve se trouve dans le cadre narratif et la perspective théologique du prologue. La préoccupation exprimée par la question et la lamentation initiales de Baruch (1,2) s’inscrit dans la crise provoquée par la destruction de Jérusalem en 70; elle s’apparente étroitement aux réactions attestées dans 4 Esdras, 2 Baruch, les Paralipomènes de Jérémie et la littérature rabbinique, mais n’a aucun équivalent dans les écrits du christianisme ancien.

(3) Comment expliquer l’apparent manque de cohérence entre la préoccupation pour le sort de Jérusalem (ch. 1) et le contenu des visions célestes révélées à Baruch (ch. 2-16)? Le ch. 4, intitulé «3 Baruch as a Jewish Text» (p. 109-162), offre pour la première fois un commentaire suivi de l’ouvrage. Pour chaque section, H. passe en revue les divergences entre version grecque et version slave, analyse la structure littéraire, étudie les traditions religieuses parallèles et trace des liens avec la problématique du prologue. Si la plainte initiale de Baruch n’est pas explicitement reprise dans le récit des visions de l’au delà, c’est pas suite d’un choix rhétorique délibéré. L’auteur veut réorienter la préoccupation de départ du visionnaire en la situant dans une perspective plus large. Il minimise la signification de la perte de Jérusalem en mettant en avant une eschatologie individuelle, un intérêt spéculatif pour la cosmologie et une éthique universaliste. Les visions ont ainsi une fonction parénétique: les lecteurs sont exhortés à vivre une vie vertueuse et à échapper aux châtiments révélés lors du voyage de Baruch.

(4) Dans le ch. 5 (p. 163-205), H. ouvre une voie nouvelle, en proposant d’interpréter 3 Baruch «en tant que texte chrétien». A défaut de traces directes de la réception ancienne de l’ouvrage, H. tente de déterminer par divers biais pourquoi et comment il a été adopté par des lecteurs chrétiens: intérêt pour la figure de Baruch et les écrits placés sous son nom; «compagnonage» de 3 Baruch avec d’autres écrits dans les manuscrits slaves et grecs; influence sur le contexte des éléments rédactionnels chrétiens; lecture de certains passages à la lumière de textes parallèles du christianisme ancien. Il montre que divers thèmes de 3 Baruch ont facilement pu être récupérés dans une perspective chrétienne (par ex. le phénix comme symbole de la résurrection corporelle des croyants). Mais la réinterprétation la plus profonde a porté sur le prologue et la fin de l’ouvrage (16,2). La position ambivalente du prologue vis-à-vis de Jérusalem a été relue dans une perpective anti-juive, sans doute à la lumière de la parabole des vignerons homicides (Mt 21,33-46, spécialement 21,43.): la vigne détruite par Dieu et livrée aux nations (1,2) représente le Royaume de Dieu enlevé à Israël et donné à l’Eglise, nouvel Israël. «How ironic that when Jewish 3 Baruch became Christian 3 Baruch, the work’s underlying universalism was transformed into an arrogant supersessionism» (p. 212).

L’ouvrage de H. apporte une contribution majeure à l’étude de 3 Baruch et, plus largement, à la recherche sur les pseudépigraphes juifs et sur leur réception dans l’Eglise. S’agissant des problèmes textuels, H. fait connaître et utilise la thèse non publiée de H. E. Gaylord sur la version slave de 3 Baruch. Gaylord a montré que les diverses familles de manuscrits slaves remontent à une même traduction, très littérale, d’un témoin grec écrit en onciales, et que le modèle de la version slave possède a priori la même valeur que le modèle des deux manuscrits grecs. Sur cette base, H. procède à une critique textuelle à la fois rigoureuse et consciente de ses limites. Ainsi, à propos de la conception divergente de la destinée post mortem des hommes qui ressort des deux versions dans les ch. 11-16, il conclut avec pertinence: "Clearly the priority of neither can be assumed; both the Greek and the Slavonic need to be taken into account whenever 3 Baruch is brought into discussion of early Jewish and Christian eschatology" (p. 150).

L’appréciation que fait H. des recherches de ses devanciers est également empreinte d’honnêteté et de sens de la nuance. Cela vaut notamment pour l’attention qu’il prête aux travaux du regretté J.-C. Picard, qui a été le premier à défendre le caractère juif et l’intégrité de la section finale et à proposer une explication de la rupture entre la problématique du prologue et les visions du monde céleste qui suivent.

Plus largement, un des apports majeurs de l’étude de H. réside dans son projet d’interpréter 3 Baruch non seulement comme un texte juif, mais aussi comme un texte chrétien. "In studies of the historical development of Christian thought, Christianized Jewish pseudepigrapha like 3 Baruch should therefore be set alongside works of the New Testament Apocrypha" (p. 211). La réalisation d’un tel programme ne peut que réjouir les chercheurs engagés dans l’entreprise d’édition de la littérature apocryphe chrétienne au sein de l’AELAC. i