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Ausgabe:

Februar/2006

Spalte:

152 f

Kategorie:

Bibelwissenschaft

Autor/Hrsg.:

Harl, Marguerite

Titel/Untertitel:

La Bible en Sorbonne ou la revanche d’Érasme.

Verlag:

Paris: Cerf 2004. 364 S. 8° = L’histoire à vif. Kart. € 26,00. ISBN 2-204-07657-0

Rezensent:

Jean Riaud

La force et la beauté de ce livre largement autobiographique, c’est qu’il nous permet de suivre et d’admirer le parcours de son auteur, parcours qui, notons-le, est emblématique de celui de toute une génération d’étudiants et d’universitaires chrétiens qui, à la suite d’Henri-Irénée Marrou, ont fait entrer les auteurs chrétiens de l’Antiquité dans l’université française.
Agrégée de lettres classiques en 1941, Marguerite Harl, après avoir enseigné au Lycée de filles de Cahors, puis au Lycée Saint-Sernin de Toulouse, est nommée au Lycée de Saint Germain-en-Laye. Nomination ainsi accueillie: »j’allais habiter Paris, con fiet-elle, fréquenter la Sorbonne, préparer une thèse«. Cette thèse sur Origène sera préparée auprès de H.-I. Marrou qui, élu à la Sorbonne en 1945, reprenait la chaire d’histoire des religions (intitulée peu après chaire d’histoire ancienne du christianisme), redonnant sa légitimité à la grande période du Bas-Empire, jusque-là négligée et même dédaignée par les historiens de la Sorbonne et par son maître, Jérôme Carcopino. En de fort belles pages en lesquelles elle manifeste sa reconnaissance et son admiration pour le grand historien, H. nous permet d’approcher l’homme et son œuvre, et de découvrir le célèbre séminaire pluridisciplinaire qu’il avait créé, et où se retrouvaient théologiens, historiens, littéraires et philologues. C’est dans ce séminaire que H. s’est formée; éblouie par la culture de son maître, elle précise ce qu’elle lui doit: il lui a enseigné les prolongements de la culture classique à l’époque chrétienne et dans le christianisme même, montré que les phénomènes religieuses pouvaient être l’objet d’une recherche de type historique, et donné le modèle d’un séminaire comme lieu de formation des chercheurs, et fait découvrir l’importance d’une laïcité ouverte qui donne toute sa place à la littérature patristique comme à la littérature musulmane ou juive, sans verser dans le prosélytisme.
En juin 1957, H. soutient sa thèse sur Origène. Un an plus tard, en 1958, la Sorbonne obtient la création d’un poste de professeur pour la littérature grecque chrétienne. De cette chaire de littérature chrétienne grecque, la jeune docteur devient titulaire. Modeste, elle écrit: »j’eus la chance de me trouver au bon endroit, au bon moment«. Nous estimons, quant à nous, que sa carrière universitaire confirme, aujourd’hui encore, que le choix des électeurs fut excellent.
H. donne son premier cours en janvier 1959. Elle ne choisit pas de donner une série de cours magistraux sur »l’histoire de la littérature grecque chrétienne«, mais préfère travailler sur les textes, étudier des œuvres. Mais, dès 1960, alors qu’elle lit Clément d’Alexandrie et Origène, une figure s’impose à elle, celle de Philon d’Alexandrie. Elle constate que les auteurs chrétiens citent et admirent cet écrivain, leur lointain prédécesseur dans la lecture méditée de la Bible. À leur suite, elle remonte à l’œuvre de l’Alexandrin et découvre qu’il relève de la religion juive, mais que son judaïsme est marqué par son insertion dans le monde grec, un judaïsme nommé »hellénistique«, ouvert à la modernité de son temps. Rappelons que c’est à cette époque, en 1961, que Roger Arnaldez, impulsa l’entreprise d’une traduction fran çaise des œuvres de Philon. H. se chargea de la traduction et de l’annotation du traité Quis rerum divinarum heres sit. Travail remarquable qui suscita et suscite toujours l’admiration des philoniens.
L’étude des Pères et de Philon ne pouvait manquer de la conduire à la lecture de la Bible grecque de la Septante utilisée par Philon, mais aussi par la plupart des Pères dans leurs commentaires. Décisive fut pour H., la rencontre avec le Père Barthélemy, immense savant dominicain, spécialiste de la Septante, qui l ’orienta vers un projet qui prit corps en 1980: offrir au public francophone une traduction commentée de la Septante qui sera nommée La Bible d’Alexandrie. Vingt-cinq après, H. et son équipe ont fait un travail véritablement remarquable, encore inachevé. La composition des volumes parus se présente ainsi: une introduction propre à chaque livre de la Septante, une traduction au plus près du texte grec, une annotation répartie sur trois ou quatre niveaux selon les versets: explication de quelques difficultés du grec; signalement des principaux écarts par rapport au texte hébreu supposé sous-jacent et de quelques textes juifs parallèles; indication des citations dans le Nouveau Testament et dans l’exégèse des Pères grecs les plus anciens. Nous n’hésitons pas à l’écrire: grâce à H., la Septante a désormais sa place dans les études bibliques, et, comme nous pouvons dire qu’il y a »un sens de l’hébreu« – la vérité de l’hébreu –, nous pouvons dire de même qu’il y a aussi »un sens du grec«, qui est une autre vérité de la Bible. Comment ne pas témoigner notre reconnaissance à cette universitaire qui nous donne accès à la veritas graeca qui a imprégné si profondément notre culture, et a été si décisive dans la naissance et le développement du christianisme.
Pour les joies intellectuelles et spirituelles que nous avons connues en suivant cet itinéraire, l’itinéraire d’une enseignante qui, passionnée par son métier, a si bien su pratiquer la re cherche intellectuelle et transmettre sa passion à de nombreux disciples, leur communiquant le bonheur de lire et de comprendre, qu’il nous soit permis d’exprimer à H. notre gratitude. Nous n’en doutons pas: son exemple suscitera »des passeurs« qui sauront, à leur tour, interpréter et transmettre les textes, exer çant ainsi de façon modeste mais sereine leur humanité.