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Ausgabe:

Januar/2005

Spalte:

33–35

Kategorie:

Altes Testament

Autor/Hrsg.:

Rose, Martin

Titel/Untertitel:

Une herméneutique de l'Ancien Testament. Comprendre - se comprendre - faire comprendre.

Verlag:

Genève: Labor et Fides 2003. 480 S. m. Abb. 8 = Le Monde de la Bible, 46. Kart. Euro 36,00. ISBN 2-8309-1080-X.

Rezensent:

Jean Marcel Vincent

Le titre de cet ouvrage en dit bien la visée. Il s'agit d'une herméneutique très personnelle qui se situe dans la lignée de Schleiermacher et de Dilthey - avec donc, dans le processus interprétatif, une place privilégiée donnée à l'interprète et à son expérience de vie. Son auteur est cependant conscient des limites du fameux idéal de "fusion des horizons de vie". L'altérité des textes ne permet pas davantage qu'une oscillation "entre proximité et distance" (20).

Comprendre, l'objet de cette herméneutique, est la passion de R. qui intègre ici le résultat de ses propres recherches exégétiques en particulier sur le Deutéronome [1994], l'historiographie yahwiste (qu'il date de l'époque perse) [1981] et surtout Qohéleth [1999] qui lui fournit plusieurs clefs de lecture (cf. 215 et 93). En fait, tous les textes bibliques sont convoqués dans l'élaboration de cet ouvrage, même si l'historiographie et la sagesse sont davantage mises à contribution que les textes prophétiques.

Faire comprendre est la vocation de l'enseignant. La situation concrète de cet enseignement - dans la faculté protestante de Neuchâtel il y a des étudiants qui maîtrisent le grec et l'hébreu et connaissent assez bien l'allemand, par un professeur d'origine allemande - se reflète assez fortement dans l'ouvrage, entre autres dans les références assez nombreuses à l'histoire de la confédération helvétique et dans les longues citations allemandes non traduites (du moins dans les notes).

Se comprendre, enfin, est au cur de cette herméneutique. Cela se manifeste dans l'usage que certains considéreraient comme immodéré de la première personne, mais le "moi" n'a en fait ici rien à voir avec l'expression d'un "m'as-tu vu". C'est tout au contraire un moi de modestie. L'interprète part de sa situation concrète et donc limitée pour comprendre les textes. S'il était rabbin à Jérusalem ou à New York son approche des textes serait évidemment différente, de même s'il était un chercheur catholique à Madrid. Si R. s'expose tel qu'il est, s'il met carte sur table, avec d'ailleurs toute la retenue nécessaire, c'est aussi pour rendre compte de l'ouverture de ce qu'apporte la compréhension des textes, du déplacement qu'ils provoquent. "Moi - pour que je devienne un autre" s'intitule le bref épilogue (445-448).

Après l'introduction (11-25), où l'herméneutique est définie comme "projet de construction" de l'un vers l'autre (11), et délimitée par rapport aux ouvrages existants, R. justifie son titre "herméneutique de l'Ancien Testament" dans un long chapitre intitulé "Une lecture chrétienne de l'Ancien Testament" (ch. 2, 22-71). Il rappelle l'origine de cette terminologie chrétienne, elle-même fondée sur les textes bibliques (Jr 31,31-34 et 2Cor 3), qui a l'avantage d'exprimer à la fois la continuité et la discontinuité. Un dialogue avec l'étude de Paul Beauchamp "L'un et l'autre Testament" aurait été ici fructueux.

"Une lecture du point de vue du devenir", le ch. 3, le plus long de l'ouvrage, 73-148, dont bien des thèmes seront repris sous un autre angle ultérieurement (en particulier au ch. 9), est consacré à l'histoire et à l'historiographie, dont le point de départ est, selon R., l'expérience de la rupture ; puis à l'histoire des individus et à celle de Dieu (la théogonie). Conscient des connotations problématiques du terme "histoire", R. privilégie l'expression "devenir", un vocable pourtant tout aussi chargé philosophiquement: on aurait aimé une réflexion plus approfondie sur l'usage de ce terme. Le ch. 4 ("Une lecture du point de vue du mourir"), 149-202, contient tout un dossier sur la mort et ses rites. Le dernier paragraphe y est consacré à l'épopée de Gilgamesh (192-200) pour illustrer l'universalité de la thématique.

Ch. 5, "Une lecture critique du théologien" (ne s'agit-il pas d'une tautologie?), dont un tiers est consacré à un texte babylonien et le dernier paragraphe à l'apôtre Paul, est étonnamment bref (203-220). Seule la sagesse est brièvement présentée et R. lui-même ne s'y situe pas explicitement comme théologien. Plus de place est donnée à "une lecture engagée d'un amoureux" (ch. 6, 221-259): la sexualité, le patriarcat, l'amour, la relation conjugale comme métaphore de l'amour de Dieu, l'amour pour Dieu.

Un solide ch. est consacré à "Une lecture de génération en génération" (7, 261-300): les liens de fils à père, de père à fils et de génération à génération. Le ch. 8 ("Une lecture en tant que frère et en tant qu'ennemi", 301-350) contient une suite d'exégèses pertinentes sur Caïn et Abel, Jacob et Esaü, Gilgamesh et Enkidou, Jonathan et David, et le Ps 133.

Le mythe fondateur de l'Exode et ses interprétations au cours de l'histoire, depuis les textes pré-exiliques jusqu'à l'historiographie sacerdotale, est au centre du 9e ch. ("Une lecture du point de vue politique et national", 351-381). Le ch. 10 est sans doute plus éclectique ("Une lecture du point de vue cultuel et religieux", 383-425), car R. y traite successivement du mystère de la vie (Ps 139), de la loi du talion, puis des hymnes (il entend en fait surtout les psaumes de reconnaissance) et des complaintes, de la confiance et de la grâce divine, avant de conclure par une réflexion sur la communauté comme lieu ouvert d'interprétation (Interpretationsgemeinschaft).

Le ch. 11 s'intitule "Une lecture identitaire, personnelle et existentielle" (427-443) et traite plus spécifiquement de l'anthropologie biblique: le nom et l'identité, la personne (la chair, l'"âme", le souffle, le cur), et la dignité de l'homme devant Dieu en quête d'authenticité. Le bref épilogue résume la visée dernière de cette herméneutique (ch. 12, 445-448): devenir un autre par ce qui m'interpelle de l'extérieur, par l'Autre et les autres, dans un rapport qui oscille entre la ressemblance et la différence, la proximité et la distance.

Les qualités de l'ouvrage se recoupent parfois avec certaines limites. L'ampleur et l'extrême précision de certains développements sur des points de détails favorisent parfois très judicieusement la visée de R.: faire une sorte de forage ou de biopsie pour mieux comprendre les diverses épaisseurs des textes à l'étude. Parfois les informations, pertinentes en elles-mêmes, semblent communiquées pour compléter un dossier autosuffisant tel un article d'encyclopédie (par ex. le bilan sur l'histoire deutéronomiste, 92-98).

Il nous semble regrettable qu'une telle herméneutique chrétienne, toute personnelle qu'elle soit, ne cherche pas à dialoguer davantage avec des théologiens qui marquent plus de distance face à la tradition issue de Schleiermacher et s'efforcent de reconnaître à la Bible une autorité qui serait moins dépendante de la valorisation personnelle des textes par l'interprète-sujet, pour parvenir aussi à reconnaître aux textes un statut théologique plus pointu et satisfaisant que celui de "livres extraordinaires" (381). Certaines formulations de R., en particulier dans l'épilogue (ch. 12), favoriseraient pourtant un tel dialogue.

Malgré certaines audaces, une tension (plutôt qu'une dialectique) continue et jamais résolue entre l'historique et l'existentiel, ainsi qu'un certain éclectisme dans les références à des auteurs du 20e siècle (Ricur à côté de Jung, Sartre, Max Frisch, Günter Abel, etc. - et du Petit Robert), R. décolle-t-il vraiment de la perspective historico-critique classique telle qu'elle s'est forgée au tournant du 19 au 20e siècle avec son schéma valorisateur allant de l'archaïque à l'individuel, en passant par le collectif ou communautaire (ainsi 192), progressant du cultuel au moral, du particulier à l'universel, interprétant surtout ce qui est déclaré comme venant de Dieu comme une pure construction intellectuelle, mentale, faisant de l'auteur biblique présumé une sorte de clone de l'exégète (par ex.: "Pour expliquer ce changement inexplicable, le narrateur recourt à l'idée d'une intervention divine: l'esprit de Yahvé", 446)? Une herméneutique ne devrait-elle pas mettre à jour plus clairement les présupposés d'une telle approche des textes?

Le respect de l'autre, thème souvent évoqué, et même la rigueur philologique ne devraient-ils pas conduire R. à éviter de vocaliser le tétragramme et à écrire Yhwh, comme l'usage s'en répand heureusement aujourd'hui?

Ceci dit, le lecteur puisera avec grand profit dans ce livre original, foisonnant. Il y découvrira "des trésors anciens et nouveaux", des exégèses fouillées de nombreux textes bibliques et extrabibliques et des développements riches et originaux sur bien des thèmes théologiques essentiels de la Bible. Les tables des thèmes (449-453), des citations bibliques (456-468) et des mots hébreux (469-471) l'y aideront.