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Ausgabe:

Juli/August/2000

Spalte:

767–769

Kategorie:

Neues Testament

Autor/Hrsg.:

Tucker, Jeffrey T.

Titel/Untertitel:

Example Stories. Perspectives on Four Parables in the Gospel of Luke.

Verlag:

Sheffield: Sheffield Academic Press 1998. 444 S. gr.8 = Journal for the Study of the New Testament, Suppl.Series,162. Lw. £ 55.-. ISBN 1-85075-897-2.

Rezensent:

Jean-Noël Aletti

L'étude de Tucker, version révisée d'une thèse doctorale écrite sous la direction de M. A. Tolbert, s'interroge sur la pertinence de la catégorie Beispielerzählung (= BE) appliquée à quatre péricopes de l'évangile de Luc: le bon Samaritain (10,30-37), le riche insensé (12,16-20), Lazare et le mauvais riche (16,19-31), le pharisien et le publicain (18,9-14). Depuis l'étude de Jülicher, Die Gleichnisreden Jesu, dont la seconde édition date d'il y a exactement un siècle (Freiburg i. Br. 1899), les exégètes n'ont cessé de revenir sur la distinction faite alors, entre Gleichnis, Parabel et Beispielerzählung, et qui a fortement marqué la recherche sur les paraboles jusqu'à aujourd'hui. Tucker considère problématique, et même intenable, la distinction entre Parabeln et BE, et il le montre, non en analysant les quatre récits, pour eux-mêmes ou dans leur contexte lucanien, mais en étudiant systématiquement l'histoire de l'interprétation récente des paraboles en général et des BE en particulier.

Le ch. 2 (45-70) montre que Jülicher n'est pas le premier à avoir mis à part les quatre récits lucaniens, et à les avoir classés comme BE. On retiendra les noms de E. van Koetsveld (1854/ 1869), B. Weiss (1861), S. Gäbel (1879), enfin I. Stockmeyer (1887), auquel l'édition revue et corrigée des Gleichnisreden de 1899 doit beaucoup.

Jülicher dépend ainsi de ses prédécesseurs, qu'il a repris en les complétant magistralement. Et comme il a lui-même évolué, de la première édition des Gleichnisreden (1886), pratiquement inconnue du public non germanophone, à celle de 1899, qui eut un franc succès, Tucker reprend le cheminement de sa pensée (ch. 3, 71-144), en insistant sur la distinction fondamentale de Jülicher, qui n'est pas, comme on le sait, entre parabole et exemple, mais entre parabole et allégorie (cette dernière ne venant pas de Jésus mais de la tradition évangélique), distinction qui détermine celle entre Parabeln et BE. La présentation de la pensée de Jülicher est détaillée, fidèle et fine, et si l'on ne peut que la conseiller à quiconque est peu familier avec les catégories du grand exégète, reconnaissons que les spécialistes des paraboles se contenteront de survoler ces pages, longues et répétitives.

Les critiques faites à Jülicher n'ont pas manqué (ch. 4, 145-274), mais toujours en référence à lui, comme s'il était incontournable. On lui a reproché d'avoir appliqué des catégories reprises de l'ancienne rhétorique grecque (surtout Aristote) à des formes orales juives; on a aussi refusé d'admettre avec lui la fonction argumentative des paraboles, etc. On a surtout regretté que sa distinction entre Parabeln et BE ne soit basée sur aucun trait littéraire propre à ces récits, et de seulement affirmer, sans le montrer, que le BE appartiennent directement à la sphère éthique et religieuse. Néanmoins, l'influence de Jülicher continue de se faire sentir, dans la mesure où beaucoup pensent encore que le réel se donne à lire dans le récit même, l'histoire racontée des BE n'étant ainsi que l'illustration ou l'exemplification d'attitudes éthico-religieuses opposées, dont le lecteur perçoit immédiatement l'enjeu et la portée. Mais au fil des décennies, la discussion va de plus en plus porter sur les traits qui peuvent caractériser le genre littéraire des BE. Certains vont les rapprocher des exemples (paradeigmata) de la rhétorique ancienne (Sellin, Berger), d'autres, dans la ligne de Bultmann, vont y voir des exemples de conduite à suivre, sans pourtant les séparer du récit parabolique compris comme une métaphore (D. O. Via, R. W. Funk, J. D. Crossan, B. B. Scott). Mais, comme le note finalement Tucker, l'exégèse n'a pu fournir aucune caractéristique narrative formelle qui autorise à séparer les BE des (autres) paraboles. D'ailleurs les BE ne sont pas les seuls récits à offrir des modèles de conduite (à suivre ou rejeter), car plusieurs Parabeln font la même chose. Selon Tucker, il faut renoncer à ne voir dans les BE que des exemples de bonne ou de mauvaise conduite. L'auteur ajoute d'ailleurs très justement qu'il importe de prendre davantage en considération les techniques narratives lucaniennes pour savoir si ce qui a autrefois été classé comme BE peut encore l'être. Bref, chemin faisant, c'est la catégorie de BE qui est remise en question.

Pour déterminer le statut des BE il importe, toujours selon Tucker, de les comprendre dans le cadre de la rhétorique ancienne, en examinant ce que disent les anciens manuels grecs et latins des parabolai et des paradeigmata (ch. 5, 275-395). De ce parcours, l'auteur conclut que si le vocabulaire des traités anciens n'est pas unifié, ils sont néanmoins tous d'accord pour reconnaître que la parabolè et le paradeigma (en toutes ses espèces) sont des "comparative devices" (385), qu'ils ont même souvent des fonctions semblables (387). En bref, les classifications des traités anciens et des exégètes modernes ne coïncident pas, et en nommant BE les quatre récits lucaniens ci-dessus mentionnés, les exégètes du début du siècle n'ont en rien clarifié les problèmes.

Le passage par la rhétorique ancienne permet à Tucker de conclure (ch. 6, 396-418) que l'on ne peut séparer les soi-disant BE des autres paraboles lucaniennes. En faisant de simples exemples de conduite, on leur ôte une dimension eschatologique qu'ils ont en commun avec les autres paraboles. On retrouve évidemment ici la question souvent débattue d'une Église primitive qui aurait moralisé le message essentiellement eschatologique de Jésus. Tucker se demande avec raison si les paraboles nous autorisent à séparer les deux aspects (eschatologique et moral), dans la mesure où elles sont de véritables "fictions utopiques" (407) décrivant l'éclosion d'un monde nouveau, la venue du Royaume. Au demeurant, la dimension morale ou éthique n'est pas non plus absente des récits étiquetés Parabeln par Jülicher, et l'on peut même se demander, avec Tucker, si l'on ne peut discerner une dimension morale présente dans la plupart des paraboles évangéliques (cf. 412); J. Dupont (cité 173, note 89) avait d'ailleurs depuis longtemps montré que le véritable terrain des paraboles est celui des comportements, de la praxis.

Plus que de donner les moyens de résoudre les questions du genre et du statut des quatre récits lucaniens autrefois nommés BE, cette étude longue et minutieuse fournit une histoire de la recherche très honnête et exhaustive (mais seulement pour l'exégèse anglo- et germanophone), et exprime une protestation à laquelle de nombreux spécialistes souscriront. Mais, répétons-le, Tucker ne fournit pas de réponse. Le recours à la rhétorique ancienne ne vaut que si l'on montre que le troisième évangile est très au fait des techniques hellénistiques - rhétoriques et narratives - alors en cours: seule une étude exhaustive de Lc permet de montrer la pertinence du recours aux anciens traités de rhétorique. Tucker le reconnaît (413, note 32), mais il s'est épuisé à faire l'histoire de l'exégèse et n'a pu mener à bien ce travail, pourtant essentiel pour que le paradigme change. Il aurait d'ailleurs suffi de prendre deux ou trois récits étiquetés Parabeln par Jülicher pour montrer concrètement que, dans leurs composantes narratives essentielles, ils ne diffèrent pas des BE, que cette dernière catégorie fourvoie donc exégètes et lecteurs. Mais pour ce faire, il faut évidemment bien dominer l'approche narrative et les instruments d'investigation qu'elle propose. On saura néanmoins gré à Tucker d'avoir posé des questions essentielles et présenté excellemment l'uvre de Jülicher.