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Ausgabe:

März/1999

Spalte:

309–312

Kategorie:

Dogmen- und Theologiegeschichte

Autor/Hrsg.:

Korsch, Dietrich

Titel/Untertitel:

Religion mit Stil. Protestantismus in der Kulturwende.

Verlag:

Tübingen: Mohr Siebeck 1997. X, 192 S. 8. Kart. DM 49,-. ISBN 3-16-146770-1.

Rezensent:

Denis Müller

Ce petit ouvrage est écrit dans un style très clair et très agréable, qui devrait lui donner une large audience, bien au-delà du cercle des spécialistes de la théologie contemporaine.

D’une main sûre, l’auteur conduit le lecteur sur le chemin de ses propres thèses, qu’on pourrait résumer librement ainsi: dans notre situation culturelle et sociale marquée par l’épuisement de la modernité et par l’éclosion de nouvelles formes de pluralisme, la religion, en particulier dans sa version protestante, représente un remarquable potentiel d’interprétation et d’expression artistique, capable de rendre compte des tensions entre l’individu et la société et de favoriser le développement harmonieux de la compréhension de soi individuelle et de sa participation à la vie sociale.

Pour étayer cette thèse, l’auteur procède en trois étapes.

Dans une première partie, il réfléchit sur les possibilités d’une herméneutique de la culture. Fortement inspirée de Schleiermacher, cette herméneutique s’efforce d’établir des médiations ou des passerelles entre les difficultés de la compréhension et son fondement religieux. Elle prend en compte la dialectique entre le devenir personnel de l’individu et sa réalisation sociale et culturelle à travers le medium du langage. Une telle articulation présuppose une réflexion sur la thématique du style et sur les liens entre religion et esthétique, deux aspects trop souvent négligés par la théologie. Le style apparaît ainsi comme la prise en charge interprétative, par le sujet, des contingences historiques dont il fait l’expérience, et donc aussi comme l’expression de sa propre cohérence, résultant de la synthèse toujours instable de sa passivité et de son activité. De ce fait, l’herméneutique du style implique une conception de la manière dont la personne se comprend, y compris dans sa dimension religieuse (38s).

Mais l’auteur n’en reste pas à des considérations purement théoriques: il illustre et discute l’herméneutique du style en s’appuyant sur l’exemple du culte protestant (voir les analyses sur une célébration du rituel baptismal à Göttingen). Son approche intéressera aussi bien les personnes attentives à l’herméneutique et à l’esthétique que celles davantage tournées vers la théologie pratique. Une des originalités de l’ouvrage est sans aucun doute d’établir des liens précis et profonds entre l’expression culturelle et l’interprétation culturelle de soi.

La deuxième partie du livre se concentre plus particulièrement sur l’unité de la foi au coeur du pluralisme de la culture. L’auteur dévoile ici de manière explicite les fondements théologiques de ses considérations précédentes. Par le biais d’une relecture des Discours sur la religion de Schleiermacher et d’une problématisation de la notion d’"essence du christianisme" (c’était déjà, au début du siècle, le questionnement critique de Troeltsch envers Harnack), K. soutient que la conception théologique de la foi représente l’apport spécifique du protestantisme moderne à la culture et la solution critique à la problématique du pluralisme. Dans une discussion serrée avec Pannenberg et Herms, K. propose sa propre version du caractère irréductible du pluralisme des confessions (101-103). C’est peut-être dans ces pages, auxquelles je consonne beaucoup, que se manifeste avec le plus de clarté l’intérêt de l’auteur pour le cadre social et institutionnel nécessaire à la garantie d’un authentique pluralisme.

Dans une troisième et dernière partie, l’auteur tire les conséquences de ses affirmations herméneutiques et théologiques, en méditant sur la contribution spécifique du protestantisme à la culture et à l’ecclésiologie.

Les réflexions herméneutiques et systématiques de K. sont très caractéristiques d’une approche inspirée de Schleiermacher. Elles en tirent leur remarquable cohérence. On peut cependant poser quelques questions à l’auteur:

1) L’analyse herméneutique et réflexive proposée dévoile progressivement le lien systématique entre le comprendre et son fondement religieux, de façon à éclairer ensuite la dimension religieuse du style et à préparer ainsi le chemin à une affirmation du croire et de sa forme spécifiquement protestante. L’élucidation du fondement religieux de l’herméneutique par le biais d’une analyse de la culture en reste à un degré minimal, mais balise la voie vers une explicitation plus théologique. Malgré ses prudences argumentatives, la démarche laisse cependant une certaine impression d’apologétique défensive. Cela n’a rien en soi de contestable. Encore faudrait-il que cette apologétique tienne compte des arguments et des objections qui pourraient venir la contrarier. Or le modèle herméneutique et théologique sélectionné par l’auteur demeure simplement présupposé et réaffirmé. A notre sens, il faudrait aussi le questionner et le comparer à d’autres modèles. Ainsi seulement serait prise en compte la condition radicalement plurielle de la modernité tardive.

2) La conception du sujet est avant tout anthropologique-existentiale, au détriment peut-être de ses dimensions sociales et politiques. Certes, l’auteur souligne d’heureuse manière le réseau de médiations langagières et culturelles dans lequel s’exprime la compréhension individuelle de soi (un soi fo ndamentalement constitué d’un corps et d’un esprit). Mais le projet d’une dogmatique et d’une éthique d’inspiration protestante, tel qu’il affleure dans le propos à plusieurs endroits, demanderait à mon avis une problématisation plus large des médiations proprement sociales et politiques du sujet. De ce point de vue, l’insistance sur la notion de style individuel tend à occulter non seulement les dimensions collectives du style (architecture, théâtre, etc.), mais, du même coup, la structuration intersubjective, sociale et politique du sujet. L’apport de Schleiermacher est certainement riche à cet égard de suggestions plus larges, mais à notre avis il ne saurait à lui seul permettre de résoudre les problèmes auxquelles doit faire face le protestantisme en cette fin de siècle (voir à ce propos mes propositions dans mon ouvrage L’éthique protestante dans la crise de la modernité. Généalogie, critique, reconstruction, Paris, Le Cerf, collection Passages, 1999).

3) L’accent est placé sur la compétence culturelle et herméneutique du protestantisme. Mais que devient sa compétence plus spécifiquement pratique et éthique? A lire l’auteur, on a parfois l’impression qu’il privilégie une interprétation du protestantisme (centrée sur le sujet individuel et sur ses formes d’expression esthétiques et artistiques). La problématique de l’essence du christianisme (relue dans le sillage de Schleiermacher) conduit à retraduire la relation avec Dieu en termes d’accomplissements de soi (Selbstvollzüge, voir p. 87) et à y concentrer la compétence herméneutique du protestantisme. Cela nous paraît trop étroit. Il nous semble que la contribution du protestantisme est plus étendue et plus diversifiée, mieux adaptée, aussi, à la configuration éclatée de l’ère dite postmoderne, face à laquelle nous sommes tous invités à nous situer.

4) Certes, l’auteur s’efforce d’articuler l’anthropologie et la christologie à la lumière du couple Loi/Évangile (voir 88 s.) et de frayer ainsi la voie d’une éthique. Mais cette éthique se limite à décrire les effets de la détermination de soi (Selbstbestimmung), au lieu de réfléchir sur la tension entre le soi, les autres et le monde (un monde que K. interprète dans le cadre de la théologie de la création, mais qu’il replie trop vite sur les thèmes de la reconnaissance et de la justification par la foi, voir 92). On ne peut s’empêcher ici de penser que K. reste par trop tributaire de la théologie individualiste de Schleiermacher, alors qu’une éthique complète se doit de relier l’éthique subjective et à l’éthique objective (un point que Troeltsch a précisément souligné dans sa réception critique de l’éthique de Schleiermacher, écartelé entre son approche théologique et sa théorie philosophique). Les considérations de K. sur la dimension sociale de la généralité (94) demeurent encore assez abstraites et rapides.

5) Le primat donné par ailleurs à la rédemption sur la création (92), malgré l’affirmation d’une relation mutuelle entre l’éthique de la création et l’éthique de la justification (93), atteste une dépendance tacite à l’égard d’une ligne d’interprétation bien connue, reliant tout droit Schleiermacher à Karl Barth.

Quoi qu’il en soit de ces questions, qui appellent encore des précisions de part et d’autre, le livre de K. nous pousse avec bonheur et intensité à nous interroger sur la signification du recours aux classiques (Schleiermacher, mais aussi la pensée des Réformateurs) pour la réflexion théologique et éthique actuelle. La simple réinterprétation herméneutique est-elle vraiment le seul moyen de procéder? Dans notre ouvrage sur L’éthique protestante, nous suggérons la mobilisation d’autres ressources, plus critiques et plus fécondes à nos yeux: la généalogie, la déconstruction et la reconstruction. Cela nous conduit à relire nos héritages théologiques à partir de nos questions et de nos intérêts, et non simplement de la vérité supposée à l’uvre dans les textes du passé.

Pour conclure, nous ne pouvons que souhaiter un dialogue plus grand et plus régulier entre chercheurs germanophones et chercheurs francophones dans le travail de reconstruction de la théologie et de l’éthique protestantes.