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Ausgabe:

September/2017

Spalte:

918–921

Kategorie:

Kirchengeschichte: Alte Kirche, Christliche Archäologie

Autor/Hrsg.:

Amselgruber, Florian

Titel/Untertitel:

»Ulme stützt Weinstock«. Literarisierung kirchlicher Verkündigung auf der Basis paganer Formen bei Clemens von Alexandrien.

Verlag:

Münster: Aschendorff Verlag 2015. 398 S. = Orbis antiquus, 47. Kart. EUR 57,00. ISBN 978-3-402-14449-7.

Rezensent:

Alain Le Boulluec

Florian Amselgruber recherche les modes de composition qui donnent cohérence aux œuvres et à la pensée de l’Alexandrin. Il se place aux antipodes de ceux qui font de Clément un écrivain brouillon, sujet aux digressions, et un penseur confus. L’instrument qu’il utilise relève du principe de la »sekundäre Literarisierung«. En résumé, il s’agit de la composition consistant à extraire une forme littéraire de son »Sitz im Leben« originel et à l’introduire dans un contexte nouveau, sans qu’il faille imputer pour autant à l’écrivain deux phases de rédaction chronologiquement distinctes (»sekundär« a un sens logique). L’effort d’analyse s’attache d’abord à une œuvre brève, QDS, puis met cette méthode à l’épreuve de l’examen du Pédagogue, pour l’étendre enfin à la compréhension de l’ensemble de l’œuvre.
De l’étude du QDS on retiendra ici les apports principaux: la forme textuelle de la péricope Mc 10,15–31, telle qu’elle est citée par Clément, est caractérisée par des sémitismes et par des traits propres à une tradition judéo-chrétienne relativement homogène dans la transmission primitive en Égypte. La littéralité de la citation se distingue de la liberté dans le traitement de la parabole du bon Samaritain dans le même écrit (28–31). Ce trait est rapporté par A. aux normes de la lecture liturgique (littéralité et intégralité du texte). Le »Sitz im Leben« originel se dessine. Il est précisé par l’examen de l’introduction de la péricope (4,1–3): la présence d’une prière précédant la lecture de l’Évangile y est discernée; l’existence d’un tel rite à Alexandrie au temps de Clément, alors que les té-moignages avérés, et surtout en Occident, sont beaucoup plus tardifs, est rendue plausible par le recours à Sérapion de Thmuis et, plus près de Clément, à Origène, Homélie sur Luc 32,2, et par des indices repérés chez l’auteur des Stromates lui-même. Le début du »complexe liturgique« (4–26) est marqué en 4,1, à ne pas comprendre comme allusion à l’exorde des § 1–3, mais comme début, coïncidant avec la prière inaugurale, de la célébration de la Parole. Au-delà de ces traits qui appartiennent au »Sitz im Leben« premier, les signes de la métamorphose littéraire sont présents, touchant aussi bien la forme savante, grecque (le tour épidictique, sensible dans les § 1–3, et la prière, attestée par la rhétorique antique en conclusion d’un proème, venant se convertir, dans cette même prière, en une forme nouvelle), que le genre de l’homélie. Le QDS n’a pas existé sous la forme d’une homélie prononcée: les éléments qui sont réunis par l’action liturgique, prière, lecture, prédication sont d’ordinaire séparés dans la transmission des textes littéraires et l’appel à la conversion (1–3) a la forme du proème d’un discours extérieur au service liturgique. A. montre que la bipartition apparente de l’écrit r ecèle une tripartition qui correspond à un élargissement de la question du salut du riche et qui vise les voies de la pénitence et la condition eschatologique. Cette tripartition est indiquée par la distinction, en 27,2, entre »la façon de garantir l’inespéré« (réponse à l’inquiétude du riche) et »la façon de parvenir à la possession de l’objet de l’espérance« (promesse du salut définitif), qui reformule le propos sur l’espérance de 4,1. Elle est soulignée par un principe structurel d’une autre nature: le début de chacune des trois parties énonce le dogme du Dieu unique et du Fils Sauveur. C’est ici que A. introduit une digression (92–111) sur le problème épineux de la »trilogie« clémentine. Il y a en effet dans la dernière partie du QDS des éléments qui appartiennent à l’enseignement du Didascale, alors que la première est »protreptique« (4–27,1, prédication ad ex-tra) et la seconde »pédagogique« (27,2–36, catéchèse). La tripartition renvoie à la pratique ecclésiale: prédication destinée à convertir, puis préparation des catéchumènes, enfin initiation complète des baptisés. La nécessité d’apporter la preuve que la triple mission du Logos divin ne peut se traduire pour Clément par une trilogie lit-téraire est liée à la thèse fondamentale de l’ouvrage: la »sekundäre Literarisierung« est le moyen d’introduire, même dans les écrits dont les premiers destinataires sont seulement à convertir, ou à instruire en vue du baptême, les réflexions de la »gnose«, les lumières de »l’époptie«. Le QDS est un exemple particulièrement probant, étant donné que dans le même écrit les trois niveaux d’enseignement sont présents et que dès le prologue (2,1) l’accent est mis sur la ποικιλία de la question posée, impliquant le devoir de multiplier les points de vue, ce qui est rendu possible par la »sekundäre Literarisierung«. À ses effets dans le prologue et dans les deux premières parties, s’ajoute dans la dernière la force incitatrice de la métamorphose d’une »tradition« relative à l’Apôtre Jean, poussant à entrer dans le débat dogmatique sur la question de la pénitence post-baptismale. La fonction du mythe à la manière platonicienne (introduite en 42,1) exploite en fait un récit noué à l’héritage apostolique. L’écrit dans son ensemble a les caractères des διαλέξεις de Dion de Pruse ou de Maxime de Tyr, alliant l’art du discours à la philosophie, sans jamais trahir les visées de la prédication ecclésiale, mais au contraire en les fortifiant. Le repérage du »Sitz im Leben« originel est riche en indications précises sur le développement des παραδόσεις dans le christianisme primitif, leur fonction édifiante ou polémique, sur la façon aussi dont Clément participe à ce processus (par exemple en Strom. III, 25,1–26,3), et sur la singularité, littéraire et théologique, de la scénographie qui sert d’argument à la dernière partie du QDS.
Dans le Pédagogue le »Sitz im Leben« originel est exclusivement la préparation au baptême; la polémique anti-hérétique en fait partie, dans une situation concurrentielle; les allusions à l’état post-baptismal sont »proleptiques«; l’instruction des catéchumènes se fonde sur des florilèges scripturaires, avec la thématique des deux voies, de la règle d’or, de l’appropriation, par l’histoire sainte, d’une identité commune, sur le schéma pédagogique de la »diérèse« faisant passer de la règle générale aux cas concrets. Si Clément lui-même est conscient de l’équivocité de la »pédagogie« ( Péd. I, 53,3–54,1), entre prémices et plénitude (213), la priorité logique est conférée au catéchuménat. Quant à la forme littéraire »secondaire« du Pédagogue, elle intègre au genre des traités περί κατηκόντων les références bibliques et les préceptes chrétiens, la révélation de Dieu dans le Christ prenant la place de la ratio universalis des stoïciens. Toutes les comparaisons faites par ses prédécesseurs avec Muso-nius, Sénèque et Épictète sont réexaminées par A.: ici encore l’ouvrage est foncièrement fidèle à la catéchèse chrétienne par la forme (le florilège) et par le contenu, mais l’extraction du matériau phi-losophique détruirait la structure du Pédagogue.
La troisième partie met en relief la maîtrise souveraine de Clément écrivain et penseur. Le deuxième niveau de la prédication atteste l’existence d’un catéchuménat à Alexandrie avant Origène. Le réseau signifiant des doubles références (chrétiennes/»païennes«) rend perméables les frontières entre la prédication exotérique et l’instruction ésotérique. La première, modelée sur l’exhortation à la vie philosophique, vise les païens intéressés, pour qui une école chrétienne est une école philosophique comme une autre. L’abandon de »l’habitude« païenne inaugure l’entrée institutionnelle dans le catéchuménat et oriente vers le progrès intérieur, jusqu’à la direction spirituelle du troisième niveau, où le »didascalée« est désormais l’Église ( Péd. III, 98,1). Au temps de Clément, le degré du »Didascale« n’est pas l’élément principal de l’école. La métaphore de l’ensemencement, dans les Stromates, reflète peut-être cette situation (282). Clément est-il ésotérique? La réponse de A. sera sans doute discutée: son œuvre est ouverte et enfreint une discipline restrictive en rassemblant dans un même écrit les trois niveaux d’enseignement, pour promouvoir »une théologie de la réplique« (284). C’est la méthode de cette théologie qui fait l’objet de la fin de l’ouvrage: A. déploie les potentialités de l’usus iustus, tel que l’a dé-fini C. Gnilka, la liaison des formes littéraires grecques et chrétiennes, inséparable de la synthèse des doctrines, ayant pour fruits la connaissance systématique et la démonstration de la justesse de l’enseignement chrétien (294), tout en créant un espace de liberté et d’approfondissement pour la réflexion théologique (299–304). Conséquences herméneutiques: la pluralité des points de vue subjectifs de Clément et les questions nouvelles qu’il soulève ont pour noyau irréductible la datum ecclésial. A. donne pour exemples l’insistance sur le salut par l’enseignement du Christ, qui n’élude pas le rachat par sa mort; le recours au concept aristotélicien de l’ ἁμάρτημα en Strom. II, 55,6–59,1 qui, sans entrer en contradiction avec les thèses du QDS sur la pénitence, enrichit le débat, tout en maintenant au centre la discipline ecclésiastique. Clément réorganise le datum ecclésial, salva substantia (326). La comparaison empruntée au Stromate VI, 117,3: »L’ormeau soutient la vigne …«, qui sert de titre, ré/sume la thèse. A., par cette étude novatrice, qui ne cesse de s’appuyer sur les recherches antérieures, pour en montrer les insuffisances ou en préciser la pertinence, allie l’acribie philologique (illustrée encore par l’appendice sur les problèmes textuels de QDS 1–3) à une acuité réflexive dont la fécondité est dès maintenant assurée.