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Ausgabe:

März/2015

Spalte:

217–220

Kategorie:

Neues Testament

Autor/Hrsg.:

Burnet, Régis

Titel/Untertitel:

Les Douze Apôtres. Histoire de la réception des figures apostoliques dans le christianisme ancien

Verlag:

Turnhout: Brepols Publishers 2014. 835 S. m. Abb. = Judaïsme Ancien et Origines du Christianisme, 1. Kart. EUR 120,00. ISBN 978-2-503-55119-7.

Rezensent:

Jean Riaud

Premier d’une nouvelle collection, Judaïsme Ancien et Origines du Christianisme, ce volume devrait retenir l’attention, car il porte sur les Douze apôtres. Comme son sous-titre l’indique, c’est une his-toire de la réception de ces familiers de Jésus qui nous est offerte, une histoire littéraire. D’où l’importance des sources: Actes (apocryphes) des Apôtres; listes d’apôtres et textes liturgiques; recueils liturgiques qui nous dévoilent la conception que les communautés se faisaient d’elles-mêmes à travers les destins de l’un ou l’autre des Douze qui sont en réalité treize, la douzième place ayant été oc-cupée successivement par deux apôtres, Judas et Matthias. Ces personnages sont fort différents les uns des autres. En tenant compte des sources dont il dispose, R. Burnet distingue six »grands apôtres«: Judas, Pierre, Jean, Thomas, Philippe, André; quatre apôtres »moyens«: Jacques le Majeur, Jacques le Mineur, Barthélemy, Mathieu-Lévi; trois »petits apôtres«: Simon le Zélé, Jude ou Thadée, Matthias. Chaque apôtre étant étudié pour lui-même, nous suivons les différentes phases de sa réception. Une lecture passionnante, claire, fine et précise. L’étonnante érudition de B. n’est jamais écrasante, car elle est parfaitement dominée et splendidement exploitée.
Estimant que la question de l’apôtre qui se perd est cruciale, B. présente d’abord »Judas, l’apôtre qui s’est perdu«. Chacun des quatre évangélistes a son Judas. En les lisant nous constatons un noircissement de plus en plus grand du personnage, noircissement qui va croissant dans la lettre qui relate le martyre de Polycarpe, dans les Actes de Thomas, chez Jean Chrysostome et Augustin.
Pierre, le »Prince des Apôtres« étant le plus important des Douze, a droit à 125 pages. B. discerne d’abord les éléments qui sont communs aux synoptiques sans pour autant niveler les subtiles différences qui existent entre les portraits qu’ils dressent de Pierre. Des prérogatives pétriniennes qu’ils mettent en valeur, l’évangile de Jean retient peu de chose. Dans cet évangile, Pierre n’a qu’une place subalterne vis-à-vis de l’idéal que représente »le disciple que Jésus aimait«.
Après cette lecture du Nouveau Testament, B. commente les premiers témoignages concernant le martyre romain de Pierre, et la suppression du différend entre Pierre et Paul. Il étudie ensuite les écrits de la fin du Ier siècle et des II–IIIe siècles qui se servirent de Pierre pour étayer leurs positions face à l’Église, au monde, et parfois, au christianisme même. À partir de la seconde moitié du IIIe siècle, l’Église de Rome se met à revendiquer l’apôtre Pierre – conjointement avec l’apôtre Paul – comme son fondateur. C’est le début d’un mouvement aboutissant à briguer la »primauté de Pierre«. Profitant du fait que Pierre avait tendance à passer pour une sorte de »chef de l’Église«, y compris dans des communautés éloignées du siège romain, l’Église de Rome cherchera à confisquer son autorité pour son seul usage.
Le propos de B. se fait plus bref sur la figure du frère de Pierre, André l’hétérodoxe »patron de Byzance« qui est quasiment incognito dans les synoptiques. En revanche, André est beaucoup plus présent chez Jean. En Jn 1,35, il est présenté comme un disciple de Jean le Baptiste. Premier à se confronter au Logos, il conduit Pierre à Jésus (1,37–42). Il est le Protoclète, le premier appelé dans l’Église grecque. Philippe et lui sont associés lors de la multiplication des pains (Jn 6,5–10) et dans l’épisode des Grecs qui veulent voir Jésus (12,20–22) où il semble avoir un rôle prépondérant qui explique sa fortune dans les Actes apocryphes où, dès la fin du IIe siècle, sont racontées ses tribulations apostoliques. Comme ses premiers Actes sont issus de milieux encratites et dualistes, André aurait dû ne jouer que les utilités dans le christianisme constantinien. Mais il fut rattrapé par la tendance officielle. B. suit les étapes de cette récupération. C’est avec les Actes d’André, que l’apôtre prendra une dimension européenne. Utilisés par les encratistes, les Actes d’André furent con-damnés. Pourtant, André ne fut pas mis sur la touche. »Récupéré« par l’Orient, l’apôtre fut établi garant de la basileia de Constantinople. »Rome avait Pierre, Byzance aura son frère«.
Jacques le Majeur que B. présente comme »l’apôtre aux deux vies« est régulièrement présent dans les évangiles aux côtés de son frère Jean. Il fait partie avec Jean, Pierre et André, des quatre premiers disciples appelés par Jésus dans les synoptiques (Mc 1,19–20). Il se retrouve à ses côtés dans les épisodes les plus importants: résurrection de la fille de Jaïre (Mc 5,37), guérison de la belle-mère de Pierre (Mc 1,29–31). Il se retrouve à Gethsémani, rencontre Jésus après la résurrection (Jn 21,1 s.). En compagnie de Pierre, Jacques et son frère Jean semblent être les préférés de Jésus qui leur donne le surnom de »Boanergès, fils du tonnerre«, surnom qui peut s’explique par le caractère impétueux des deux frères, qui veulent faire descendre le feu du ciel sur un village de Samaritains qui n’avait pas accueilli Jésus (Lc 9,51–55), et qui s’illustrent encore dans la de-mande qu’ils font à Jésus de »siéger dans sa gloire, l’un à sa droite et l’autre à sa gauche« (Mc 10,35–45). La position particulière qu’ils occupent dans le groupe apostolique semble avoir perduré après la mort de Jésus. Mais Jean précède son frère qui connaît le martyre précoce que l’on sait. Notons que la tradition d’un séjour de Jacques en Espagne ne remonte qu’au VII e siècle.
»Jean, le grand homme et ses homonymes«: ce titre est bien choisi, car le patronyme »Saint Jean« recouvre plusieurs personnages historiques: le fils de Zébédée, l’auteur de l’évangile, l’auteur de l’Apocalypse et des trois épîtres »de Jean«, le Disciple bien-aimé. Jean l’apôtre, le fils de Zébédée, est associé à d’autres, à Jacques, son aîné et à Pierre, et il n’intervient qu’une seule fois (Mc 9,36–40). Alors qu’il faisait partie des disciples importants, force est de constater que sa place est mal assurée. Ce qui explique que la tradition ait manifesté une nette propension à le confondre avec d’autres: le disciple bien-aimé; l’auteur des trois épîtres qui portent le nom de Jean; le visionnaire de l’Apocalypse. B., après avoir détaché le fils de Zébédée de tous les auteurs canoniques, constate que »la constitution de la figure de Jean en super-apôtre et écrivain« est assez tar-dive. Elle ne semble acquise qu’au cours du III e siècle, et ce n’est au IVe qu’Eusèbe de Césarée fixera la légende. Une tradition qui remonte également au IVe siècle tenta d’accéditer un martyre de Jean. Le lien qu’entretient Jean avec la vierge Marie est présent dans la Dormition de Marie, et l’Assomption de Marie. Le lien entre la tradition johannique d’Éphèse et la Vierge remonte à une époque très récente.
Il existe deux Philippe: Philippe l’apôtre et Philippe le diacre présent dans les Actes des Apôtres. À l’apôtre simplement mentionné dans les synoptiques, Jean fait jouer une certain rôle: il bénéficie d’un appel particulier (Jn 1,43–46), et, au moment de la multiplication des pains, il apparaît comme le disciple qui n’a pas encore la foi parfaite (Jn 6,5–7). Il est celui qui conduit les Grecs à Jésus (Jn 12,10–23). D’où l’idée qu’il est l’évangélisateur des Grecs. Mais il se fait ra­brouer par Jésus, car il privilégie la vue à la foi (Jn 14,7–10). Philippe le diacre, un Helléniste, inaugure la mission en Samarie (Ac 6,5), validée par Pierre et Jean (Ac 8,14–16). Il baptise un eunuque (Ac 8,26–35) et réside à Césarée où on le lie à la prophétie (Ac 21,8–10).
Les deux personnages se distinguent clairement. Les Pères de l’Église ont pourtant confondu les deux. Une série de témoignages dont celui de l’archéologie la présence du tombeau hiérapolitain semblent lier Philippe à la Phrygie. Il apparaît comme l’apôtre de l’encratisme dans les Actes de Philippe. Il meurt supplicié la tête en bas. Mais, au lieu de pardonner, il demande à Dieu d’engloutir ses ennemis. Dieu l’exauce en faisant disparaître Hiérapolis. Mais Phi-lippe a outrepassé ses droits. Il s’est pris pour le Juge. Il est puni, détenu hors du paradis pendant quarante jours. Le lien de l’apôtre avec les milieux extatiques phrygiens expliquent la fortune qu’il connut dans les milieux gnostiques.
Barthélemy est mentionné dans chacune des listes des Douze et nulle part ailleurs. On l’a souvent identifié au Nathanaël de Jean. Ce qui explique son caractère visionnaire, parce qu’on a cru que c’est à lui que s’adressait la parole dite à Nathanaël en Jn 1,51. Nathanaël a été érigé en figure de visionnaire dont Barthélemy a pu récupérer certaines des caractéristiques. Ceci n’aurait pas suffi à faire de Barthélemy un apôtre de renom sans les déclarations d’Eusèbe de Césarée, amplifiées par Rufin d’Aquilée. La tradition eusébienne fait remonter à la fin du II e siècle l’idée d’un itinéraire en Inde. Rufin d’Aquilée donne de l’extension à la tradition eusébienne en relatant la christianisation de l’Arabie. C’est à partir de la tradition du trajet indien que se développa une série de légendes sur Barthélemy que l’on trouve dans des œuvres comme la Prédication de Barthélemy dans la ville de l’Oasis, le Martyre de Barthélemy.
Dans les synoptiques, Thomas n’est qu’un nom dans les listes apostoliques. En revanche, sa figure se détache nettement dans l’évangile de Jean. Sa première apparition prend place après la maladie de Lazare (Jn 11,11–16). En Jn 14,2–6, Thomas se borne à poser une question. L’épisode le plus célèbre se trouve en Jn 20,24–29. »Il constitue le point d’orgue d’une sorte de ›mini-tradition‹ johannique sur Thomas«: l’apôtre qui sait interroger, mais aussi l’apôtre qui a rapport avec le voir et le croire. Il manifeste une certaine incrédulité. Jésus lui a pardonné et a répondu à ses questions. Thomas devient un intercesseur.
En dehors de l’évangile de Jean, Thomas est à peu près inconnu pendant les deux premiers siècles. À partir du IIIe siècle, on lui as-signe l’évangélisation des Parthes. Mais il se retrouve bientôt à Édesse. C’est l’Église d’Éphèse qui exploita la petite glose sur le nom de Thomas, nommé Didyme, c’est-à-dire jumeau (Jn 11,16; 20,24) et tira de ce surnom toutes les conséquences théologiques. La pre-mière étape déduisit de la fraternité entre Thomas et le Christ une certaine proximité d’initiation. Cette première phase de la tradi-tion thomasienne est consituée par l’Évangile de Thomas, excellemment présentée par B. Thomas retrouve son rôle d’initié et de mystique dans les Actes de Thomas qui décrivent son apostolat jusqu’en Inde, et exploitent la gémellité comme »la véritable métaphore de l’évangélisation«. Cette figure de Thomas héritée d’Édesse, jumeau du Christ dont la gémellité sert d’intermédiaire pour rencontrer Dieu, sera reprise par des communautés marginales. La »Grande Église« orthodoxisera le Jumeau en reprenant les données présentes dans la tradition d’Édesse.
Les synoptiques conservent le récit de la vocation de Matthieu, qui, selon une tradition remontant à 120, est à la fois un apôtre et un évangéliste. Les informations fournies sur lui par les évangiles sont maigres et les récits de son martyre ne sont pas concordants. Son titre d’évangéliste n’est pas contesté, mais on ne s’accorde pas sur le destin de cet apôtre »ubiquiste«. Les trois synoptiques conservent le souvenir de son appel, utilisent deux noms: Matthieu ou Lévi. Le récit de l’appel se poursuit par celui du banquet chez Lévi. Il était collecteur des taxes, métier qui faisait de lui un homme important. Malgré la discrétion des évangiles, Matthieu a été mis à l’honneur. Les Pères de l’Église l’ont cité comme l’auteur du Premier évangile. Cette tradition qui remonte à Papias de Hiérapolis, est soutenue par la majorité des Pères et une bonne partie des textes apocryphes. Tout prédisposait Matthieu à être un »grand« apôtre; l’incertitude sur son destin le rapproche des plus »petits apôtres«.
Il existe cinq Jacques dans le Nouveau Testament: Jacques fils d’Alphée, l’un des Douze, Jacques le Petit, Jacques frère du Seigneur, Jacques, fils de Marie, Jacques père ou frère de l’apôtre Jude. Jacques fils d’Alphée n’a laissé aucun souvenir dans les mémoires histo-riques. Dans le monde latin, il a été remplacé par Jacques le frère de Jésus. Sur les cinq Jacques, celui-ci est le plus célèbre et la littéra-ture qui le concerne est considérable. Deux facteurs l’expliquent: la question des »frères de Jésus« et celle du christianisme d’origine juive et de la première communauté de Jérusalem dont Jacques fut, semble-t-il, le leader. B. qui défend l’option selon laquelle Jacques de Jérusalem ne fait point partie des Douze, aborde ensuite la ques­tion des »frères de Jésus« en présentant les solutions apportées à cette question.
Les trois »petits apôtres« qui ne possèdent d’autre caractéristique connue que celle d’être apôtre sont des »personnages creux«. Appropriations et hésitations quant à leur destin sont innombrables. Des trois, Jude est le plus mystérieux. Entre Jude, Thadée, Lebbée, on ne sait même pas comment se nommait cet apôtre. Cependant il a connu une longue histoire d’appropriations successives, associé qu’il est d’abord au cycle d’Édesse, puis à celui d’Arménie.
Simon, le onzième apôtre, a retenu l’attention des exégères à cause de la manière dont les évangiles l’ont présenté. Matthieu et Marc le nomment »Simon le Cananéen« (Mt 10,4; Mc 3,8) et Luc (6,15) »Simon appelé le Zélote«. Simon qui a davantage passionné les auteurs modernes que les auteurs anciens en raison de son surnom de »Zélote«, demeure un apôtre inconnu.
Matthias, choisi pour remplacer Judas (Ac 1,15–26), est »un apôtre quasiment inexistant«. La tradition hésite entre un apostolat en mer Noire, une mort à Jérusalem et un tombeau à Beyrouth.
Dans la conclusion, intitulée Ouverture, de ce parcours véritablement passionnant, B. tirent les trois leçons suivantes: le terme »apôtre« recouvre des réalités différentes; la légitimité qui leur est afférente est donc elle aussi très différente; la réduction de leurs actes à une pure fiction destinée à supporter les aspirations à l’universalisme du christianisme ne tient pas.
Une bibliographie, un index des textes bibliques, des apocryphes de l’Ancient et du Nouveau Testament, des textes anciens, un index des auteurs modernes, un index géographique, un des fêtes litur-giques et une table des illustrations complètent cet ouvrage dont la présentation est conforme à la tradition des Éditions Brepols. Pa-rions que l’on ne tardera pas à oublier le titre de ce livre pour ne retenir que le nom de son auteur. Quand il s’agira de connaître le destin de l’un ou l’autre des Douze, on devra consulter impérativement et pendant très longtemps le Burnet.