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Ausgabe:

Juni/2014

Spalte:

775–777

Kategorie:

Systematische Theologie: Ethik

Autor/Hrsg.:

Hofheinz, Marco

Titel/Untertitel:

Johannes Calvins theologische Friedensethik.

Verlag:

Stuttgart: Kohlhammer 2012. 272 S. m. 1. Abb u. 1 Tab. = Beiträge zur Friedensethik, 43. Kart. EUR 39,90. ISBN 978-3-17-020967-1.

Rezensent:

François Dermange

L’ouvrage de Marco Hofheinz, Johannes Calvins theologische Friedensethik, issu d’un travail d’habilitation à l’Université de Berne (»Er ist unser Friede«. Die christologische Grundlegung der Friedensethik Karl Barths [2009]), est passionnant. H. y présente en effet un dossier complet des arguments en faveur d’une éthique calvinienne de la paix, sans jamais tomber dans le catalogue, mais en resi-tuant cette question dans le cadre plus général de la théologie du Réformateur. Ce choix qui privilégie la cohérence systématique de la pensée sur l’histoire peut être critiqué, mais il est certainement judicieux ici. C’est ainsi d’abord en relation à l’ecclésiologie et au témoignage des chrétiens que l’éthique de la paix prend sens, puis dans un second temps en relation à l’éthique politique, à la fois comme conception théologique de l’Etat et réflexion sur l’héritage augustinien de la guerre juste. Dans un second temps, H. dresse un panorama de la réception de l’éthique de la paix dans la tradition réformée, avec notamment la délicate question de la théocratie, avant de retenir quelques pistes d’actualité pour aujourd’hui. Le parcours met ainsi en avant un aspect peu connu de l’œuvre de Calvin, radicalement débitrice de l’enseignement de Jésus, et révèle un nouveau visage du Réformateur, loin des stéréotypes d’un théo-crate froid, autoritaire et secrètement séditieux. L’un des autres mérites de l’ouvrage est sa prise en compte large des sources, bien au-delà de la seule Institution, mettant à jour l’herméneutique de l’exégète et le soin pastoral du prédicateur.
Toutes ces qualités étant relevées, on regrettera que H. ne présente qu’une partie seulement du dossier, faisant silence sur les passages contraires à sa thèse. Bien qu’il ait parfaitement raison de mettre en valeur les textes qui fondent l’éthique calvinienne de la paix, d’autres passages vont dans un sens tout différent. Le point est particulièrement manifeste à propos des Commentaires sur les cinq livres de Moïse, ouvrage peu connu mais fondamental, dernière grande œuvre laissée par Calvin avant sa mort. H. connaît ce texte dont il mentionne plusieurs passages, non seulement sur la Ge-nèse, mais tirés du commentaire détaillé des préceptes du Déca-logue. Or H. se concentre sur l’analyse du 6ème commandement »tu ne tueras point«, sans mentionner le 1er commandement et ses »dé­pendances«, c’est-à-dire sa portée politique (J. Calvin, Commentaires sur les cinq livres de Moïse; Genèse est mis a part, les autres quatre livres sont disposés en forme d’Harmonie, Genève, François Estienne, 1564; [harmonie], 220–233. Le passage est repris en latin de l’édition princeps parue l’année précédente chez Henri Estienne, dans les Opera quae supersunt omnia, G. Baum, E. Cunitz et E. Reuss, éds. Braunschweig et Berlin, Schwetschke, 1863–1890, t. 24, col. 354–376).
Calvin y précise que si Dieu n’a pas permis à son peuple de prendre les armes »par une impétuosité bouillante ou par appétit de ven-geance«, il a voulu en être le principal auteur dans la guerre sainte (ibid. [harmonie], 233, sur Nb 10, 1–10). Bien que cela paraisse contraire à la charité et même à l’équité mutuelle que visent les préceptes de la seconde Table, la contradiction n’est qu’apparente, car »la religion doit toujours tenir le premier degré«, et il y a »juste cause« à entreprendre la guerre contre l’impiété (ibid. [harmonie], 231, sur Dt 20, 1–4; cf. J. Calvin, Institution de la religion chrestienne [1562], éd. par J.-D. BENOÎT, Paris, Vrin, 1957–1963, livre III, chapitre XIX, §13). On est alors bien loin du 6ème commandement qui prescrivait de ne faire outrage ni violence à qui que ce soit (J. Calvin, Commentaires sur les cinq livres de Moïse; op. cit. [harmonie], 386, sur Dt 20,13):
»C’est une impudence plus que détestable et miséricorde cruelle d’estimer pour rien quand on a offensé la majesté de Dieu, afin de sauver la vie d’un homme. Et de fait, puisque nous ne sommes créés à autre fin, et ne vivons pour une autre cause, sinon à ce que le nom de Dieu soit glorifié en nous, il vaut beaucoup mieux que tout le monde périsse, que de laisser jouir les méchants du bien de la terre pour la contaminer de leurs sacrilèges.« ( Ibid., 225, sur Dt 13,12–17)
S’il ne nous semble pas raisonnable que toute la race des méchants soit exterminée du monde, nous devons savoir que nous fraudons Dieu de son droit, en mesurant à notre sens propre sa hautesse infinie, que les anges adorent avec admiration (ibid., 226, sur Dt 13,15).
La préface des Commentaires des cinq livres de Moïse est datée de juillet 1563, quatre mois seulement après que l’édit d’Amboise a mis une fin précaire à la première guerre de religion. On s’attendrait que Calvin plaide alors pour la paix, mais il invite plutôt à passer les villes apostâtes par le fil de l’épée, pressant son lecteur de faire taire ses sentiments de miséricorde ou de pitié. Celui qui ferait preuve de clémence serait alors passible du châtiment divin (ibid., 228, sur Lev 20,1), car c’est par lâcheté et manque de rigueur que la »vraie religion« a été corrompue dans l’Eglise de Rome (ibid., 225, sur Dt 13,12):
»Il est parlé de l’œil pource que le regard est le sens le plus tendre pour émouvoir les gens à compassion. Ainsi Dieu requiert une telle vertu pour celui qui se voudra montrer bon zélateur de la religion qu’il ne soit aucunement fléchi à miséricorde, ni par larmes, ni par blandissements [caresses], ni par un spectacle si hideux que de faire mourir sa femme ou son fils.« (Ibid., 224, sur Dt 13,6–11)
Evoquant Sodome, Calvin écarte alors tout sentiment dans la guerre, au nom de la pureté voulue par Dieu:
»Si quelqu’un réplique que pour le moins les petits enfants étaient innocents, je réponds: puisque tous, depuis le plus grand jusques au plus petit, sont coupables devant Dieu, que nous perdons temps de plaider contre lui, encore qu’il mit à mort le fruit que les femmes portent en leur ventre.« (Ibid., 226, sur Dt 13,15)
Ce plaidoyer pour la guerre sainte n’est pas un cas isolé (Par ex. le commentaire du Ps 137,9, in J. Calvin, Commentaires sur le livre des Psaumes, Paris, Meyrueis, 1859, t. 2, 526–527). On en retrouve la trace en 1548 déjà lorsque Calvin s’adresse à Edouard Seymour, Protecteur d’Angleterre et tuteur du jeune Edouard VI, l’exhortant à »réduire les hommes à la pure obéissance de Dieu« (Lettre à Edouard Seymour, du 22 octobre 1548, in J. Calvin, Lettres anglaises (1548–1561), textes choisis, transcrits et présentés par A.-M. Schmidt, Paris, Berger-Levrault, 1959, 42) et à »réprimer par le glaive« (ibid., 46) non seulement les anabaptistes, »gens fantastiques qui, sous couleur de l’Evangile, voudraient mettre tout en confusion«, mais les catho-liques qui veulent »soutenir les ordures et abominations de leur idole romain« (ibid., 48). La répression a une justification politique, puisque les uns et les autres sont présentés comme des séditieux, mais elle a surtout une dimension religieuse, puisque sont réputés séditieux tous ceux qui s’opposent à la mission du prince: »servir à Jésus-Christ« selon l’interprétation qu’en donne le Réformateur (ibid., 49).
Une telle perspective n’invalide en rien le beau travail de H., même si elle en corrige certainement certaines analyses. Elle oblige surtout à repenser l’éthique calvinienne de la paix et de la guerre dans un contexte systématique plus large encore, plus complexe et plus critique.