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Ausgabe:

Juli/August/2013

Spalte:

792–794

Kategorie:

Judaistik

Autor/Hrsg.:

Triplet-Hitoto, Valérie

Titel/Untertitel:

Mystères et connaissances cachées à Qumrân. Dt 29,28 à la lumière des manuscrits de la mer Morte. Èd. par M. Langlois. Préface de F. Schmidt.

Verlag:

Paris: Les Éditions du Cerf 2011. 390 S. = L’écriture de la Bible, 1. Kart. EUR 30,00. ISBN 978-2-204-09363-7.

Rezensent:

Thierry Legrand

Quel sens faut-il donner au verset intrigant de Deutéronome 29,28 qui évoque les »choses cachées« (ha-nistarot) et les »choses révélées« (ha-niglot)? Comment la dialectique du caché et du révélé, enraciné dans les textes bibliques, se déploie-t-elle dans les écrits juifs de la fin du Second Temple et en particulier dans les manuscrits découverts dans les grottes de Qumrân. Ceux qui fréquentent les écrits qumrâniens ou la littérature de la fin du Second Temple, savent à quel point il est difficile de saisir un grand nombre de passages qui évoquent les »mystères«, »la connaissance«, »les choses cachées«, etc. L’auteur de cet ouvrage, historienne de formation, offre un éclai-rage précieux sur ces notions et d’autres, sans jamais s’égarer dans l’analyse philologique ou littéraire des textes.
La table des matières, détaillée à l’extrême (8 pages!), offre à elle seule une idée de l’ampleur de la recherche et de la richesse des thèmes abordés. Trois sections structurent l’ensemble de l’étude: I. »La révélation des choses cachées et des mystères: quel contenu?« (23–180); II. »Les moyens de la révélation des choses cachées et des mys-tères: conseil divin et livre céleste« (181–293); III. »Choses cachées et choses révélées, Qumrân face au Nouveau Testament et au ju-daïsme rabbinique« (295–346).
La première section, très vaste, rassemble les éléments du dossier textuel et conceptuel. L’a. pose les différentes étapes de son enquête sur les »choses cachées« et les »mystères« (cf. Daniel) en commen-çant par une étude rapide de quelques passages bibliques significatifs (Dt 29,28; Dn 2,22 et Ps 19,13). L’enquête se poursuit alors dans les témoins de la littérature juive ancienne qui présentent un intérêt pour cette étude, essentiellement Ben Sira (3,21–22; 42,18–20; 48,25; 39,3.7; 43,32) et 1Hénoch (une trentaine de fois le mot »mys-tère«), mais quelques autres textes sont aussi brièvement évoqués: 2M 12,41–42; Sg 17,3 et 3Baruch 1,6.8. L’ampleur du champ de l’étude ne permet pas toujours à l’a. d’analyser en profondeur ces textes, mais elle parvient cependant à dégager quelques lignes d’interprétations qui font sens (79–80). Dans le second volet de son analyse, l’auteur aborde l’épais dossier des écrits qumrâniens. L’analyse des passages significatifs de la Règle de la Communauté (1QS I; V; VIII) et de l’Écrit de Damas (CD III) permet de préciser les conceptions communautaires relatives aux »choses cachées/révélées«. A Qumrân (comme dans la Bible), les choses révélées concernent essentiellement la Loi écrite révélée à Moïse, mais la notion de »choses cachées« renvoie à une conception duelle de la Loi: il y a ce qui est d’ores et déjà révélé et ce que Dieu révèlera progressivement à ses élus, notamment par la pratique et l’exégèse de la Loi (108). L’a. consacre ensuite une large partie de son exposé (109–180) à présenter le concept de »mystère« ( raz, et les expressions associées) dans les écrits qumrâniens, en étudiant principalement les passages de la Règle de la Communauté (1QS), des Hymnes (1QH), du Rouleau de la Guerre (1QM), du Péshèr d’Habaquq (1QpHab), de 4QInstruction, du Livre des Mystères (1Q27), des Cantiques de l’holocauste du sabbat et des manuscrits araméens comme l’Apocryphe de la Genèse (1QapGen). Il est impossible ici de rendre compte en quelques lignes des résultats de cette enquête littéraire et nous nous contenterons de signaler que l’a. distingue ce qui concerne les mystères du plan divin (109–132), des élus (133–143), du mal (144–147) et les mystères de ce qui est à venir (148–173). Le parcours est stimulant, notamment parce qu’il dépasse le simple cadre d’une enquête linguistique classique pour aborder régulièrement un ensemble de questions théologiques et historiques (voir la synthèse de fin de parcourt, 173–180). Dans la logique de l’étude conduite sur les textes de Qumrân l’a. est amené à traiter de la question des »moyens de la révélation«, puisque les »choses cachées« et les »mystères« se trouvent intimement liés à la notion de révélation.
La seconde section s’intéresse d'abord à la notion de »conseil« (swd), associé à Dieu, ses anges ou dans le sens spécifique de communauté ou d’assemblée (183–184). Partant des données bibliques (par ex., Jr 23; Jb 15; Am 3 et les Psaumes), puis parcourant les nombreuses attestations de swd dans les écrits qumrâniens, l’a. met en évidence les diverses utilisations et acceptions de ce terme qui peut être traduit par »conseil«, »fondement«, »plan« ou »secret«, en fonction des contextes. Elle note qu’à Qumrân, ce mot, qui désigne souvent le »plan divin«, est régulièrement »mentionné dans le con-texte du décret divin gravé depuis toujours sur les tables célestes« (255). C’est alors l’occasion pour l’a. d’étudier la notion de »livres célestes« puisque ces derniers semblent consigner les desseins de Dieu et le destin de l’humanité (261–283). Les analyses portent essentiellement sur la mention répétée de différents »livres« (livre de vie, tablettes célestes consignant les destins, les fêtes, des ha-lakhot, etc.) dans 1Hénoch et Jubilés (voir aussi 4Q417). Nous ne pouvons malheureusement pas rendre compte de la richesse de ce parcours, mais nous signalerons cependant la mention exclusivement qumrânienne d’un »livre de la méditation« (spr hhgy) – dont le contenu reste difficile à cerner –, utilisé pour l’instruction de certains res­ponsables de la communauté (cf. CD X; XIII; XIV). L’a. conclut cette section en rappelant les différentes modalités de la révélation à Qumrân (285–293): par l’ouïe et la vue (notamment concernant les mystères à venir), mais également de manière prophétique ou par des expériences spirituelles (voir les Cantiques de l’holocauste du Sabbat).
La troisième partie, beaucoup moins développée que les deux précédentes offrent une synthèse un peu rapide de l’ensemble de la recherche effectuée. L’a. concentrée jusque-là sur l’important dossier des écrits de Qumrân et de la littérature intertestamentaire a consacré trop peu de pages à l’analyse des écrits de la littérature rabbinique et du Nouveau Testament et semble s’en tenir à une lec-ture interprétative limitée de ces passages. Il n’en demeure pas moins que son questionnement sur le rapprochement des »choses cachées« à Qumrân et la fonction de la Loi orale dans les écrits rabbiniques constitue un sujet intéressant et novateur. Dans cette section finale, l’a. aborde également la question de la légitimité de la connaissance des »choses cachées« à Qumrân, dans les apocryphes, le judaïsme rabbinique et le Nouveau Testament (331–343). Elle montre comment cette question y est posée de manière différente, »en fonction des groupes et de leurs conceptions divergentes de la Loi et de la révélation« (341).
Voici donc une recherche très structurée et bien menée qui reste agréable à lire, malgré la difficulté du sujet, l’étendue et la complexité du dossier. On notera que dans un parcours textuel qui pourrait paraître, à première vue, très aride, l’a. accompagne son lecteur par des synthèses fréquentes qui permettent de recentrer la re-cherche et d’orienter la suite de l’étude. Il faut souligner ici cet ef-fort pédagogique. – L’ouvrage est équipé d’un index des références à la littérature biblique, parabiblique et qumrânienne très utiles. On s’étonnera cependant de l’absence d’un relevé des références à la littérature rabbinique (voir par ex., 299–304). Par ailleurs, dans le cadre d’une telle étude thématique, un relevé systématique des références aux termes ou aux expressions étudiés dans l’ouvrage aurait été souhaitable.
Il nous reste à saluer le travail accompli pour mener à bien une étude scientifique qui a le mérite de dépasser le cadre strictement tex­tuel pour tenter une réflexion de fond en se concentrant notamment sur l’étude de la pensée religieuse de la communauté de Qumrân.