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Ausgabe:

Mai/2012

Spalte:

544–546

Kategorie:

Neues Testament

Autor/Hrsg.:

Decharneux, Baudouin, et Sabrina Inowlocki[Éds.]

Titel/Untertitel:

Philon d’Alexandrie. Un penseur à l’intersection des cultures gréco-romaine, orientale, juive et chrétienne. Actes du colloque international organisé par le Centre interdisciplinaire d’étude des religions et de la laïcité de l’Université libre de Bruxelles. (Bruxelles, 26–28 juin 2007). Éd. avec la collaboration de B. Bertho.

Verlag:

Turnhout: Brepols 2011. 526 S. m. 1. Abb. 21,0 x 15,0 cm = Monothéismes et Philosophie. Kart. EUR 95,00. ISBN 978-2-503-52885-4.

Rezensent:

Jean Riaud

Ce volume qui rassemble les Actes du colloque organisé à l’Université libre de Bruxelles les 26–28 juin 2007, se divise en trois parties précédées de la communication de D. T. Runia, »Why Philo of Alexandria is an important Writer and Thinker«. Dans cette communication qui constitue la keynote lecture du colloque, D. T. Runia dresse un tableau de la recherche actuelle sur Philon et de ses manifestations académiques dans le monde, et, en exposant l’at­-titude de l’Alexandrin par rapport à la divinisation des astres, montre brillamment pourquoi il le considère comme »an important writer and thinker«.
La première partie, »Entre Jérusalem et Rome«, rassemble cinq textes. Elle débute avec la communication de M. Goodman, »Philo as philosopher in Rome«, qui commente ce que dit Josèphe de Philon à propos de son ambassade à Rome, et l’éclaire en la replaçant dans le cadre du statut des philosophes dans la Rome impériale.
Quel était le statut donné au peuple juif par Philon? On sait que, pour parler de l’humanité en général, il affectionne le couple d’antonymes formés par les termes »Grecs« et »Barbares«. Mais alors quelle est la place des Juifs dans cette représentation du monde? K. Berthelot, »Grecs, Barbares et Juifs dans l’œuvre de Philon«, répond à ces questions en précisant le statut que Philon donne au peuple juif. Selon elle, et sa démonstration emporte l’adhésion, l’Alexandrin défend l’idée que ce peuple ne constitue ni une sagesse barbare, ni un alter ego du peuple romain. Il n’est pas compté parmi les nations, parce que »l’Un ne fait pas nombre avec autre chose, et que le peuple juif qui s’est attaché à l’Incréé est du côté de l’Un«. Bien qu’il ne soit pas compté parmi les nations, il a pour vocation ultime de les rassembler un jour dans le culte du Dieu Un.
On connaît la présentation philonienne de la fête et de la panégyrie célébrées chaque année dans l’île de Pharos (Mos. 2. 41–42). E. Birnbaum, »Who celebrated on Pharos with the Jews? Conflicting Philonic Currents and their Implications«, fait une analyse critique de cette présentation, qui fait ressortir l’écart qui sépare ce qui apparaît comme une construction philonienne des autres informations dont nous disposons sur les rapports entre juifs et non-juifs à Alexandrie. Sa conclusion est que, contrairement aux affirmations de Philon, il est peu vraisemblable que des non-juifs aient participé à cette célébration.
C’est également au contexte juif alexandrin dans lequel évolua Philon que s’intéresse M. R. Niehoff, »Recherche homérique et exégèse biblique à Alexandrie: un fragment sur la Tour de Babel préservé par Philon«. À partir d’une lecture de Confus. 2–5, elle reconstruit les controverses vivantes qui avaient lieu entre les exégètes juifs d’Alexandrie, et met en lumière divers groupes dont les écrits ne sont pas parvenus jusqu’à nous. Philon apparaît comme un conservateur se confrontant à des confrères étonnament critiques, qui appliquaient les méthodes de l’exégèse homérique à l’étude de l’Écriture Sainte.
M. Broze, »L’Égypte de Philon d’Alexandrie: Approches d’un discours ambigu«, remet en question l’idée qu’il n’y a aucune affinité entre la pensée de Philon et la pensée égyptienne. Elle montre notamment comment l’Alexandrin associe l’Égypte à la biographie de Moïse en développant tout particulièrement sa fonction dans la spécificité du langage du héros biblique tel qu’il est présenté par Philon. Cette fonction suppose une conception positive de la terre des Pharaons comme lieu d’anamnèse.
C’est par le biais de la philologie et de l’histoire de la philosophie grecque que le corpus philonien est abordé dans la deuxième partie de ce volume, »Entre Athènes et Alexandrie«.
M. Alexandre, »Monarchie divine et dieux des nations chez Philon d’Alexandrie«, nous offre une enquête fort précise sur le rapport entre unicité divine et polythéismes tel qu’il est formulé par Philon. À partir des deux premières paroles liées du Décalogue, qu’il commente, Philon élabore avec force l’opposition fondamentale entre judaïsme et hellénisme, monarchie divine et polythéisme aux croyances présentées selon une hiérarchie, et ce, tout en exprimant un respect prudent à l’égard des dieux païens et aussi en traçant un passage à partir de consensus populaires ou philosophiques vers le Dieu unique.
C. Lévy, »La notion de signe chez Philon d’Alexandrie«, montre qu’en ce qui concerne le signe, Philon a une attitude plus tranchée qu’à propos d’autres concepts grecs, pour lesquels il a su utiliser sa culture philosophique hellénistique tout en leur imposant la marque de son judaïsme. Il réserve le signe à Dieu. En le retirant presque complètement au philosophe, il en fait le mode d’expression par excellence de la transcendance.
Selon O. Munnich, »La fugacité de la vie humaine (De Josepho § 127–147): la place des motifs traditionnels dans l’élaboration de la pensée philonienne«, l’argumentation philonienne prend appui sur toute une série d’éléments empruntés à la Bible et plus souvent à la tradition grecque. Sans s’attacher aux sources scolaires de l’Alexandrin, prises pour elles-mêmes, mais en suivant le texte, Munnich nous fait découvrir comment Philon élabore sa pensée en retravaillant des thèmes traditionnels.
F. Calabi, »Le repos de Dieu chez Philon d’Alexandrie«, conduit une enquête sur le concept de repos divin dans le corpus philonien. La formulation de Gn 2,2–3 contient plusieurs problèmes que Philon aborde: dans quel sens peut-on parler d’une longueur de temps déterminée pour une activité divine? Dieu étant immuable et son activité continue, que signifie il acheva son œuvre? Que signifie »repos« pour un Dieu qui ne se fatigue pas?
La notion de prohairesis est définie différemment par les écoles philoso­phiques grecques, constate F. Alesse, »Prohairesis in Philo of Alexandria«. Une étude des textes dans lesquels Philon emploie ce vocable lui permet de montrer qu’il est conscient de sa complexité philosophique, et qu’il n’hésite pas à exploiter ses différentes acceptions de façon à proposer une exégèse cohérente de l’Écriture.
S. Weisser, »La figure du progressant ou la proximité de la sagesse«, s’intér-esse à la catégorie philonienne du progressant. Grâce à une étude des figures d’Aaron, Agar et Lot, elle montre excellemment comment le progressant prend les traits de ces trois personnages bibliques. Ce qui lui permet de suggérer que Philon est l’un des premiers philosophes antiques à proposer un schéma tripartite du progrès philosophique (débutant, progressant et parfait), qui fleurit aussi bien dans la philosophie néoplatonicienne que dans les christianismes des IIIe et IVe siècles.
Une analyse de la démarche exégétique de Philon dans Her 90–95 permet à J. Moreau, »Étude sur la pistis d’Abraham dans Her 90–95«, de voir ce qu’écrit Philon sur Gn 15,6, et d’approfondir ainsi notre compréhension de la pistis d’Abraham en portant une attention toute particulière sur le commentaire que fait l’Alexandrin de la seconde partie du verset (Gn 15,6b).
Point final de cette seconde partie, l’analyse que présente L. Saudelli des »fragments d’Héraclite dans le Corpus Philonicum: le cas du fr. 60 DK«. Sa recherche qui porte principalement sur les occurrences du fragment 60 DK, montre que Philon paraphrase le fragment aussi bien dans les »Essais philo­-sophiques« que dans les traités du »Commentaire allégorique«, mais sans mentionner explicitement le Présocratique. Le but de l’Alexandrin n’est pas l’exégèse d’Héraclite.
La troisième partie du volume, »Les temps des relectures«, est consacrée au rapport de Philon avec le Nouveau Testament et au Nachleben de son œuvre, tant dans la tradition chrétienne que juive. Deux communications portent sur les rapports entre l’Évangile de Jean et Philon.
F. Nobilio, »Le chemin de l’esprit dans l’œuvre de Philon d’Alexandrie et dans l’Évangile de Jean«, aborde la question de la relation entre les deux auteurs à propos du pneuma. Il met en évidence que Jean traite les mêmes thèmes que Philon, mais en déplaçant leur référence temporelle, de sorte qu’à la genèse et à la génération chez Philon, correspondent l’eschatologie (réalisée) et la liturgie chez Jean. La seconde communication de B. Decharneux, »Le Logos philonien comme fondation paradoxale de l’Évangile de Jean«, nous présente les hypothèses de recherche menées sur le prologue. Selon lui, trois traités de Philon pourraient avoir influencé le ou les rédacteurs du prologue: Opif., Her., Contempl.
Comme les deux premières, la communication de P. Tomson, »Le Temple céleste: pensée platonisante et orientation apocalyptique dans l’épître aux Hébreux«, met en relation, dans une perspective comparatiste, l’épître et l’œuvre de Philon. Hébreux est sans doute l’écrit le plus proche des textes de Philon. Néanmoins d’importantes différences existent. Ainsi un élément important dans Hébreux manque pratiquement chez Philon: l’orientation apocalyptique typique surtout du judaïsme palestinien.
Avec la communication de A. C. Geljon, »Philo’s influence on Didymus the Blind«, c’est la réception chrétienne de Philon qui est traitée. Il apparaît que l’influence de l’Alexandrin sur Didyme s’exerce surtout dans son exégèse d’épisodes bibliques issus de la Genèse, mais également dans celle des Psaumes.
Dans »Relectures apologétiques par Eusèbe de Césarée: les exemples d’Énoch et des Thérapeutes«, S. Inowlocki-Meister examine la façon dont Eusèbe a exploité les écrits de Philon et Philon lui-même dans ses deux ouv­-rages apologétiques majeurs: la Préparation évangélique et la Démonstration évangélique, et défend l’idée que le rôle joué par Philon dans ces deux ouvrages est, avant tout d’ordre apologétique: Philon est, bien malgré lui, un instrument privilégié de défense et de glorification du christianisme, souvent au détriment du judaïsme.
Selon F. Siegert, »Philon et la philologie alexandrine. Aux origines du fondamentalisme chrétien«, la philologie alexandrine est demeurée étrangère à Philon qui, s’il est un géant, l’est aussi dans un sens négatif, car il a découragé, voire empêché, tout l’effort d’apprendre des philologues antiques ce qui leur était propre. Son exégèse non critique porte une responsabilité majeure dans l’émergence du fondamentalisme chrétien.
Dans »La quête de Philon dans l’historiographie juive du XVIe siècle«, J. Weinberg relate comment se fit la réception du corpus philonien en milieu juif à la Renaissance, après des siècles d’ignorance. Elle examine le rôle que jouèrent dans cette redécouverte de Philon Azariah de’ Rossi et Judah Moscaro.
Avec sa bibliographie, ses indices, ce volume qui rassemble des textes d’une très grande qualité, témoigne de la vivacité des études philoniennes. Comment ne pas s’en réjouir?