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Ausgabe: | September/2011 |
Spalte: | 908-910 |
Kategorie: | Kirchengeschichte: Alte Kirche, Christliche Archäologie |
Autor/Hrsg.: | Räisänen, Heikki |
Titel/Untertitel: | The Rise of Christian Beliefs. The Thought-World of Early Christians. |
Verlag: | Minneapolis: Fortress Press 2010. XXIV, 479 S. m. Abb. gr.8°. Kart. US$ 39,00. ISBN 978-0-8006-6266-0. |
Rezensent: | Christian Grappe |
Avec la publication de cet ouvrage, c’est un projet amorcé dès 1990 qui se concrétise: la mise à disposition, à l’intention d’un large public érudit, d’un panorama des représentations que l’on rencontre au sein du christianisme ancien, sous l’angle non pas de la théologie du Nouveau Testament mais de l’histoire des religions. Le choix effectué est donc de proposer une histoire des idées qui traversent le mouvement chrétien à ses débuts en ne se limitant en aucune façon aux seuls textes du Nouveau Testament et en prenant le plus grand compte du contexte social et culturel dans lequel s’inscrivent à la fois sa naissance et sa première enfance – le champ couvert va jusqu’à la fin du II e siècle, mais R. ne s’interdit pas de tracer des perspectives qui vont au-delà. L’ouvrage étant conçu comme une alternative aux théologies du Nouveau Testament, un parti pris de neutralité est affiché – toute distinction entre orthodoxie et hérésie est rejetée – et une approche dominée par l’histoire des idées et de la formation de ces idées dans toute leur diversité est privilégiée aux dépens d’une focalisation sur les doctrines et d’une quête d’une illusoire unité.
Le plan de l’ouvrage est tel que, après une introduction bienvenue dont le propos est à la fois méthodologique et programmatique, une sorte d’entrée en matière est offerte dans les trois premiers chapitres. Elle permet de découvrir l’univers de pensée qui va être exploré à travers une présentation successive: du judaïsme du second Temple; de la philosophie et de la religion gréco-romaine; des principaux personnages, des événements marquants et des diverses sources disponibles. Convaincu que l’eschatologie est la clé qui permet le meilleur accès à une compréhension en profondeur de l’ensemble des représentations qu’il étudie, c’est à elle que R. consacre ensuite son attention, au début de ce qui constitue le cœur de l’ouvrage, en l’abordant sous l’aspect d’abord des attentes collectives (ch. 4) puis de l’espérance individuelle (ch. 5). Sa conviction est en l’occurrence que l’attente d’un tournant concret, décisif et définitif dans le cours de l’histoire puis sa transformation nécessaire en quelque chose d’autre – qu’il s’agisse de représentations plus spirituelles ou de l’attente d’un accomplissement dans l’au-delà – a été déterminante pour l’évolution des représentations chrétiennes. Cela l’amène à faire suivre les chapitres dévolus à l’eschatologie par deux autres, consacrés à la sotériologie. Les questions posées sont ici, d’une part, celle de l’anthropologie sous jacente, qui détermine de quoi on est sauvé, notamment selon que l’on est ou non conçu comme étant vendu au péché (ch. 6), et, d’autre part, celle des différentes voies qui peuvent, selon les uns ou les autres, conduire au salut (ch. 7). Ce n’est qu’après avoir ainsi abordé la sotériologie que R. en vient à la christologie (ch. 8), convaincu que, de fait, c’est ainsi que s’est élaboré l’univers de représentation des chrétiens avec pour balises les figures emblématiques de Jésus, marqué par l’eschatologie, de Paul, champion de la sotériologie, et de Jean, centré sur la christologie. Un chapitre est ensuite consacré à l’Esprit en tant que puissance agissante et source à la fois d’expériences et de conflits (ch. 9). Puis, le façonnage d’une identité chrétienne occupe le devant de la scène avec, d’un côté, la question de la relation, conçue selon les cas en continuité ou en rupture, avec Israël (ch. 10) et, de l’autre, celle des rapports avec les païens, elle aussi conflictuelle, surtout dans une apologétique dont R. déplore que, à travers l’histoire, elle ait abouti à des comportements qui ont été aussi destructeurs envers des païens qu’envers des juifs (ch. 11). Enfin les transformations qui ont accompagné le cheminement vers une orthodoxie sont étudiées (ch. 12) avant qu’une brève conclusion n’évoque à la fois le soubassement commun et la diversité inhérente à la pensée chrétienne ancienne.
Comme on l’aura constaté, l’œuvre est soigneusement con- struite et cette construction se fonde elle-même sur une approche globale du mouvement chrétien naissant. L’élaboration très progressive de l’ouvrage explique que la plupart des chapitres de ce qui en constitue le cœur ont connu une première publication sous une autre forme. L’unité et la cohérence de l’ensemble ne s’en ressentent toutefois aucunement, d’autant que les conclusions des différents chapitres, quand elles ne donnent pas lieu à des remarques souvent sévères sur le protestantisme, ouvrent des perspectives intéressantes tout en offrant aussi des réflexions pleines de pertinence et de profondeur sur ce qui a pu générer les aspects tant fascinants que problématiques du christianisme à travers l’histoire (ainsi de l’espérance eschatologique comme ferment d’espérance et catalyseur d’un rejet et, bien souvent, d’une persécution des opposants en tant que suppôts de Satan).
Sur le fond et après avoir insisté sur le caractère à la fois magistral, impressionnant et stimulant de l’ouvrage, il nous semble néanmoins que la présentation de R. présente quelques flottements. Ainsi, dans le chapitre fondamental sur les attentes collectives, il oscille quelque peu entre l’affirmation récurrente selon laquelle Jésus aurait proclamé le Royaume de Dieu comme le grand tournant imminent de l’histoire (86–88) et la prise en compte du fait que l’activité exorciste du Nazaréen et l’interprétation qu’il en donne (Q 11,20) paraissent bien attester une irruption du Royaume dès à présent (89.91.103). Même s’il fait place à cette dernière donnée, essentielle, ce n’est pas autour d’elle qu’il organise sa propre présentation, ce qui a bien entendu une incidence non négligeable. On observe aussi une tendance à ériger des tensions en incohérences, en contradictions ou encore en approches mutuellement incompatibles, notamment, mais pas seulement, quand il est question de Paul (ainsi 178–183.191.196). Il nous semble en fait que R. est plus convaincant dans son approche quand il raisonne, précisément, en termes de tension (216) et notamment quand il renoue avec ce concept dans sa conclusion (315).
On pourra aussi s’interroger sur la pertinence qu’il y a à reprendre aujourd’hui encore (ch. 8) le modèle du nomisme d’alliance, proposé par Sanders, alors même que la prise en compte de la diversité du judaïsme antérieur à la ruine du Second Temple invite à davantage de nuance. Il en résulte une certaine distorsion entre la présentation, qui tend à l’unification, du judaïsme contemporain de Jésus et celle, délibérément contrastée, des origines chrétiennes. Une prise en compte du judaïsme hénochique, se prolongeant notamment à Qumrân, aurait assurément modifié le tableau.
Il n’en demeure pas moins que l’on reste confronté à un tableau plein de force, même si l’on peut être amené à ne pas en apprécier uniformément toutes les lignes. Au chapitre de la documentation utilisée, on pourra remarquer que R., qui ne fait quasiment aucune place à la littérature secondaire parue en d’autres langues que l’anglais et l’allemand, cite fréquemment ses collègues finlandais. Le remarquable ouvrage qu’il nous propose présente ainsi aussi l’avantage de faire connaître plus largement leurs travaux et leurs avancées dans le domaine de la recherche.