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Ausgabe:

März/2009

Spalte:

358-360

Kategorie:

Systematische Theologie: Dogmatik

Autor/Hrsg.:

Dalferth, Ingolf U.

Titel/Untertitel:

Malum. Theologische Hermeneutik des Bösen.

Verlag:

Tübingen: Mohr Siebeck 2008. XV, 593 S. gr.8°. Lw. EUR 79,00. ISBN 978-3-16-149447-5.

Rezensent:

Jean Greisch

Voici une analyse magistrale du problème du mal, qui fera certainement date. Prenant suite de deux ouvrages antérieurs, traitant respectivement, dans une perspective philosophique, de la catégorie de l’incompréhensible et, dans une perspective théologique, de celle du non-sens, l’a. y esquisse une herméneutique théologique du mal qui cherche à élucider les opérations herméneutiques au moyen desquelles les êtres humains affrontent le mal en s’en rapportant au divin, aux dieux ou à Dieu.
La catégorie directrice de l’enquête est »orientation«. Le mal, quel qu’en soit la forme, produit une désorientation qui suscite un be­soin élémentaire de réorientation, non seulement de la pensée, mais aussi de l’agir et du sentir. L’idée religieuse et chrétienne de Dieu est une telle formule d’orientation, dont la fécondité est mise à l’épreuve, en adoptant successivement trois perspectives différentes: caractérisation du problème du mal, analyse des différentes tentatives de penser le mal, présentation des stratégies d’orientation face au mal.
D’entrée de jeu, l’a. se démarque aussi bien de la théodicée philosophique que d’une approche purement morale du problème. L’objet de son enquête est la problématique théologique des stratégies symboliques propres à l’orientation de vie religieuse et, plus spécialement chrétienne, qui permettent d’élucider les expériences du mal en référence à Dieu et de Dieu au regard des mêmes expériences, autrement dit, de comprendre le mal en référence à Dieu et Dieu en référence au mal.
Le terme latin: malum dans le titre permet d’éviter de restreindre le problème du mal à da dimension purement morale de l’agir et de la volonté mauvaise. Tout mal ne se laisse pas interpréter en termes de faute commise par quelqu’un envers quelqu’un. Une approche plus différenciée des expériences du mal prête attention aux interactions complexes entre épreuve, expérience, compréhension et pensée. L’aporie constitutive de ces expériences, où le désir de comprendre se heurte aux limites de l’incompréhensible ne signifie pas un échec absolu de la pensée; c’est une invitation à penser plus et à penser autrement. C’est dans cette optique que l’a. développe la problématique herméneutique de savoir comment le mal et Dieu sont compris dans l’horizon de la pratique de vie concrète et de l’orientation de vie en référence à Dieu.
Persuadé qu’il n’y a pas de doctrine chrétienne unitaire du mal, l’a. explore trois approches théologiques distinctes, selon qu’on privilégie l’horizon ontologique et cosmologique de l’idée de création, l’horizon anthropologique du mal considéré comme péché, et, enfin, dans la perspective d’une théologie de la justification, la compréhension du mal comme incroyance.
La discussion critique de la première approche se focalise sur la thèse classique d’après laquelle le mal doit être pensé uniquement comme privation d’un bien, illustrée par Saint Augustin et Thomas d’Aquin. Tout en défendant la conception augustinienne contre des critiques superficielles et injustes, l’a. estime qu’un monothéisme »cosmo-théologique«, qui a ses sources dans la philosophie, ne rend pas véritablement justice au monothéisme biblique, qui nous présente un Dieu créateur et sauveur qui participe activement au combat contre le mal et qui crée du neuf et du bien en éliminant le mal.
Il élève des réserves analogues à l’encontre de la deuxième tradition, qui met l’accent sur le malefactum, la faute comme œuvre d’une volonté mauvaise. Ce qui fait la force de cette approche, qui instaure un lien fondamental entre les notions de liberté et de mal, est aussi sa faiblesse: la quête obstinée d’un responsable qui soit en même temps un coupable, illustrée par l’Essai sur le mal radical de Kant, privilégie indûment la perspective de l’homme coupable, en passant sous silence la perspective des victimes. D’où la double limite de cette approche: elle envisage le mal exclusivement dans l’optique du »fauteur«, et elle s’obstine à vouloir ramener toute »malfaisance« à une volonté mauvaise.
»Le mal advient également là où personne ne veut expressément et délibérément faire le mal, et où il renonce délibérément à vou­loir le bien« (292). Cette thèse fraye la voie à une nouvelle approche, décisive pour l’optique théologique de l’a., paradoxale aussi, où le mal se présente comme »incroyance«. Elle se réclame de la découverte révolutionnaire des Réformateurs, d’après lesquels l’homme est créature et pécheur en même temps. Pécheur, il ne l’est pas seulement parce qu’il a commis le mal, ou parce qu’il porte en lui les traces du péché originel; il l’est de par sa situation et sa condition même. Si, comme l’affirme la thèse directrice de l’a., »le péché ne doit pas être compris en référence à l’agir humain, autrement dit par analogie avec la morale, mais en référence à la foi, autrement dit comme ce qui, dans la foi, est vaincu par Dieu lui-même« (305), la clé herméneutique décisive pour comprendre le mal est le pardon des péchés.
La thèse déconcertante d’après laquelle la foi seule est le chemin qui libère du péché, ce qui veut dire également que, dans toutes ses formes, l’incroyance est péché (343), présuppose une grammaire originale de la foi qui heurte de front le sens commun, pour autant que croire ne consiste plus ni dans un tenir pour-vrai doxique, ni dans une simple confiance fiduciaire. Foi et incroyance cessent d’être des déterminations anthropologiques, pour se transformer en déterminations existentielles, désignant une manière particulière de se tenir dans le monde, devant Dieu et de se situer face à autrui.
La dernière partie du livre s’engage sur un chemin de crête, destiné à tirer au clair ce que l’a. appelle »le projet Dieu«. Mettant en garde ses lecteurs contre les simplifications théologiques artifici­elles qui font violence à la complexité de l’expérience humaine du mal, il veut »sauver les phénomènes«, en adoptant successivement trois perspectives: la bonté, la justice et l’amour de Dieu.
Contrairement à la démarche de la théodicée, avant tout préoccupée par la compatibilité et la cohérence des attributs divins, chac­une de ces approches est scandée par des »expériences« qui marquent un progrès décisif de la pensée, arraché à des crises fondamentales de la compréhension: les expériences d’Adam, de Noé, de Job, d’Abraham, etc., culminant avec »l’expérience de vie de Jésus« et la parole de la Croix. La manière dont l’a. déchiffre chacune de ces expériences montre à quel point il lui importe de s’élever au-dessus d’une instrumentalisation morale de la foi. Ce qui importe, ce n’est pas que la foi peut contribuer au perfectionnement moral de l’humanité; c’est plutôt que la foi rend possible une réorientation eschatologique dans des situations d’extrême désorientation. La foi, ainsi comprise, n’apporte pas une meilleure solution au problème de la vie, mais elle donne un nouvel horizon à la vie qui redevient capable de croire que la bonté et l’amour de Dieu conservent toute leur capacité créatrice et que la justice ne Dieu participe activement aux combats contre l’injustice.